Par Chanel Robin
Quand Marilyn Manson se révèle un hybride entre postmoderniste et post-humaniste et aide à comprendre certains concepts du cours COM1350 (Communication, cognition et émotions)
Vous en avez sûrement entendu davantage parler en mal qu’en bien (gore, provocateur, voire même incitateur à la violence), mais Marilyn Manson est, selon moi, un artiste de performance dont la démarche mérite d’être analysée plus en profondeur. Ce musicien américain de métal industriel, connu entre autres pour avoir popularisé et revisité à sa manière des succès comme Sweet Dreams (Are Made of This), Personal Jesus et Tainted Love, a aussi écrit plusieurs albums-concepts qui expriment une féroce désillusion face aux promesses de notre société actuelle postmoderne. On peut aimer son style ou non, mais il nous fait comprendre par sa grotesque critique de la société nord-américaine qu’il n'est pas différent de nous, au fond.
Marilyn Manson, avant d’être musicien, était journaliste. Cela lui a permis de s’immiscer dans le monde artistique tout en gardant l’œil ouvert sur les bons et les moins bons côtés de l’industrie et son influence sur la société. Comme lui, en tant qu’étudiant.e.s en communications, nous sommes plongé.e.s dans une prise de conscience privilégiée des conséquences des médias dans nos vies. Ces derniers sont à la base de notre société postmoderne, nous rendant inactifs devant ce bombardement incessant d’images et d’informations. Analysons avec lui où nous en sommes rendus en tant que société.
Avant de commencer, voici une petite mise en contexte : après la modernité, les changements technologiques ont modifié radicalement toutes les sphères de l’existence humaine, mais aussi notre vision du monde. Nous voilà en pleine postmodernité. On délaisse la binarité (bon-mauvais ; moi-l’autre ; homme-femme) pour un mélange des styles, des genres, un métissage culturel qu’on appelle hybridité . Avec la technologie qui s’immisce même jusque dans le corps humain, il y a un autre après qui nous attend : le post-humanisme.
« Les personnages postmodernistes semblent souvent ne pas savoir très bien dans quel monde ils se trouvent et comment ils doivent agir », nous dit David Harvey (Balutet, 2016, p.7). Omega, l’alter ego de Marilyn Manson, en est un parfait exemple. Ce cher extraterrestre, vedette de glam rock débarqué sur Terre en 1998, se raconte à travers les 14 chansons de l’album Mechanical Animals. Si vous et moi pouvons parfois nous sentir perdus dans ce monde, imaginez Omega. Vite influencé par le mode vie américain, le protagoniste se sent rapidement perdu et sa santé mentale en est atteinte.
Toutes les chansons décrivent ce sentiment d’absurdité et de flou existentiel. Et c’est surtout là-dessus que l’artiste insiste dans ses textes : il veut fuir ce mal-être.
La chanson la plus iconique pour le démontrer : I Don’t Like The Drugs, But The Drugs Like Me. Quelle drogue exactement ? Ce n’est pas précisé, car le mot « drogue » doit être compris à un sens plus large, englobant à la fois le bigotisme religieux, le divertissement de masse à la télévision ou la surconsommation, des addictions sur lesquelles la société se raccroche pour faire taire les angoisses. S’en dégage une sorte de fatalité, présente même dans le titre de la chanson : c’est comme si tôt ou tard, même s’il n’aime pas ce monde postmoderne, le protagoniste y succombera parce que la religion fait tout pour garder ses fidèles. Les compagnies misent sur la publicité pour attirer ses consommateurs, idem pour la télévision qui veut que ses téléspectateurs restent à l’écoute. Parce que l’addiction a besoin de ses accros pour perdurer.
Le fait d’être un post-humain pour lequel le genre n'a même plus d'importance aurait pu nous faire penser que cela rend Omega plus libre, puisque l’idée de l’homme-machine se veut une amélioration des capacités humaines, mais la chanson New Model no. 15 renchérit dans la perte d’espoir en nous faisant réaliser que sa caractéristique originale n’est que superficielle et lui fait même perdre son individualité : « I’m as fake as a wedding cake […] Pitifully predictable, correctly political. » Sa vie de vedette glam rock, en prenant le dessus sur sa vision objective monde (car extra-terrestre), ne fait que représenter « son vide intérieur » grandissant (Mallier, 2016, p. 26).
S’ajoutent à ces réalisations anxiogènes le fait qu’en participant à la société de consommation de masse, il réalise qu'il prend part malgré lui à la destruction du monde, autant des relations entre humains que de la planète en tant que telle : « Relationships are such a bore / Delete the one that you’ve f*cked» (User Friendly). En 1998, les réseaux sociaux étaient loin d’être aussi développés : cette phrase se révèle prémonitoire et résonne d’autant plus en 2019 alors que nos relations virtuelles sont souvent basées sur l’immédiateté et établies à distance par l’intermédiaire de nos écrans. Une autre caractéristique du postmodernisme, ces temps et espace.
Pour terminer ce survol de l’album, l’avant-dernière chanson The Last Day On Earth nous laisse sur un bémol, alors qu’Omega devient un témoin passif et impuissant devant la destruction de la planète. Cela n’est pas sans rappeler l’écoanxiété que la récente grève pour le climat a dénoncé en trombe.
…
Le temps ne veut rien dire, on parle d’instantanéité. Les distances, franchissables par un portail appelé écran. Plus de vérité, il faut l’investiguer, la questionner, la discuter, car le faux parvient parfois à se mêler au vrai avec une illusion assez surprenante. Non, ceci n’est pas le synopsis d’un film de science-fiction. C’est simplement notre époque : la postmodernité. Il y a de quoi se sentir dépassé, éparpillé, de ne pas être si original que ça, d'avoir tout pour fonctionner, mais… Il y a toujours un mais... Les chers êtres postmodernes que nous sommes sont en proie à des remises en question incessantes, que ce soit sur notre identité ou notre relation avec le monde. Une sorte d'anxiété générale qui joue en trame de fond (qui devient parfois plus assourdissante) de nos vies. Malgré tout, « ça va aller », comme nous dit l'UdeM*. Il le faut bien.
(Si cela vous intéresse, je me suis amusée l’année dernière à faire une première réflexion sur l’impact de la technologie dans notre société, mais avec le point de vue d’Alex Turner dans le plus récent album de son groupe Arctic Monkeys, Tranquility Base Hotel and Casino :
Références :
(Pour de plus de détails sur la postmodernité, le posthumanisme et l’hybridité):
Balutet, N. (2016) Du postmodernisme au post-humanisme : présent et futur du concept d’hybridité. Babel, 33, DOI: 10.4000/babel.4391
(Une superbe analyse de trois albums phares de Marilyn Manson connus sous le nom de « trilogie inversée ») :
Mallier, C. (2010). Marilyn Manson, antéchrist superstar. Revue française d’études américaines, 125(3), 85-100. doi:10.3917/rfea.125.0085.
*Lien pour la campagne Ça va aller de l’UdeM: https://www.cavaaller.ca/