Originaire du Cambodge, Mona Tep a vécu dix ans au Québec. À l’époque, les étudiants étrangers se faisaient rares, et c’est dans un petit département naissant, de 100 ou 200 étudiants, qu’elle a créé le ComMédia en 1989. En même temps, elle rédigeait une maîtrise ; une analyse linguistique de la couverture médiatique de quelques grands médias internationaux sur le mouvement des Khmers rouges (un parti communiste ayant dirigé le Cambodge de 1975 à 1979). Pour son nouveau journal, Mona Tep devait aller trouver elle-même les commanditaires, s’occuper du montage, de l’impression, de la coordination générale… Gérer les déplacements de certains chroniqueurs! Bref, l’équivalent d’une édition mensuelle d’une dizaine de pages. Notre toute première rédactrice en chef fut évidement ravie de constater la poursuite de son travail… Elle m’explique ici les débuts du journal, ce qu’il était, de même que l’influence qu’il a pu exercer sur sa vie. Et pourquoi pas quelques conseils tant qu’on y est?
Comment le magazine a-t-il été créé?
J’ai quitté le Cambodge depuis mon plus jeune âge, et ce, à cause de la guerre. J’ai beaucoup bougé, de la France au Canada, de Québec à Montréal… et l’université est le premier endroit où j’avais envie d’investir car j’y avais passé beaucoup d’années et devrais encore y passer quelques autres puisque je commençais mon master.
De par ma nature j’ai ce besoin de partager, de rassembler et surtout d’aider. Quand je suis arrivée au Dept de comm, j’ai tout de suite remarqué qu’il manquait ce lien entre les étudiants et les professeurs. Si on s’arrête un instant, on connaît peu de la vie des étudiants et aussi de la vie des professeurs, je voulais que le journal « humanise » ses deux publics, souvent pudiques de par leur position/fonction. Et puis on est en communication ; comment est-ce possible qu’il n’ait pas un journal?
Pourquoi avoir fondé le ComMédia alors que vous étiez déjà occupée par la maîtrise?
Le besoin de communiquer tout simplement, et c’est un peu paradoxal que dans un département de comm on n’ait pas ce genre de journal.
Je voulais « humaniser » les étudiants et les professeurs. Ce n’est pas une question de rigidité, mais ces deux groupes sont cantonnés dans leur « image » stéréotypée et je voulais surtout atténuer ces barrières imaginaires que nous nous faisons de l’étudiant quand on est professeur et vice et versa.
J’aime les challenges et je pense que le temps est élastique quand on sait s’en servir et qu’on sait s’organiser… J’avais fixé un objectif et cela me motive…. Comme on dit : « Quand on aime, on compte pas ! ».
À qui le journal s'adressait-il?
Surtout aux étudiants mais aussi aux profs qui avaient envie de mieux connaître leurs étudiants. Les étudiants ne savaient pas toujours ce qui se passait dans le département et vice et versa. Créer une communauté de communicateurs et de communiquants… pas juste faire de la théorie, mais de la pratique.
Comment fonctionnait le ComMédia à ses débuts ? ( publications, fréquence de parution, prix/cotisations?).
Si je m’en rappelle, nous n’avions pas de budget ou si peu… seulement pour l’impression ; le reste, tout comme notre temps et la coordination que j’y mettais, étaient bénévoles…. Je pense que c’est une belle plateforme et expérience pour ceux qui veulent devenir journalistes ou dans les métiers connexes. J’avais aussi trouvé un humoriste de bandes dessinées qui faisait bien parler le journal…
À quoi ressemblait l'équipe complète?
Un éditeur et des journalistes, c’est tout.
Qui y participaient ( profs, étudiants, etc.)?
Je choisissais les profs, ils n’avaient pas un emplacement particulier mais je voulais qu’ils soient présents pour faire des updates… des messages sur les prochains cours… leur vision académique, mais aussi en tant que personne ayant le pouvoir de forger le futur des jeunes communicateurs.
Pour les chroniqueurs… nous avions les mêmes souvent… on faisait une revue des articles que nous pouvions pondre, et voilà… Ensuite, je faisais aussi éditeur et correction d’épreuves… C’était beaucoup beaucoup de travail, mais je pense que c’était apprécié et cela permettait aux étudiants de prendre de l’expérience et aux autres de savoir ce qui se passait dans le département et autour de soi.
Quels étaient les rapports entre le magazine et l'association étudiante?
Très liés car on essayait de répondre aussi aux besoins évoqués dans la vie d’asso!
Avez-vous aussi participé à la création de l'Aécum?
Je vous avoue que je ne me rappelle pas avoir créé l’Aécum, cependant j’y ai participé à travers le ComMédia, car la partie « associative étudiants » m’intéressait. Je voulais, à travers le journal, comme j’ai dit ci-haut, faire le pont avec les étudiants, les professeurs et la vie estudiantine. J’étais aussi Déléguée du 2e cycle… donc la vie estudiantine m’intéressait. Et puis on est en communication, je trouvais aberrant qu’il n’y ait pas de journal fait par et pour les étudiants. Un ami très cher (Alexandre Gousse de la même année en master) me poussait aussi à créer le ComMédia.
D'après ce que j'ai vu, les nouvelles de l'Aécum et du département transitaient surtout par le magazine? Est-ce exact?
Oui, je crois que le journal a grandement contribué… cela a permis les rassemblements, à des gens de partager des expériences, de démontrer le dynamisme de notre faculté …. À la fois à travers les professeurs et les étudiants. Cela permettait de voir arriver les nouveaux… comment les inclure et qu’ils arrivent surtout à s’insérer rapidement à la vie d’étudiant autant académiquement que socialement.
J’ai aussi été élue Déléguée du 2e Cycle… c’est une autre raison pourquoi j’ai beaucoup participé à l’Aécum.
Quelle est votre opinion sur la récente et inévitable transition numérique des médias?
Cela va de soi, nous sommes en communication, cela ne serait pas normal si on était réfractaires… Il faut par contre savoir gérer le progrès… Tout progrès tel que le numérique mérite que nous nous posions la question : est-ce bon pour moi, est-ce nécessaire ? Comment vais-je l’utiliser (sans en abuser) à bon escient?
Pensez-vous qu'un journal comme le nôtre intéresse toujours les étudiants? Pourquoi? (Est-il utile?)
Je pense que c’est toujours utile… sous réserve bien sûr que les contenus soient d’actualité. De mon temps, le journal devait être le pont entre ce que font les étudiants et la vie professorale de la faculté. Comment insérer les nouveaux rapidement, etc. Je pense que c’est important que le journal continue de servir de « pont », et cela permet également de développer son expérience dans l’écriture.
Étiez-vous surprise de voir que le ComMédia existe toujours?
Oui !! Mais en même temps pas vraiment surprise vu que nous sommes dans le département de communication, c’est tout à fait normal que les étudiants s’y intéressent et gardent le flambeau du journal. C’est dommage sur un truc : le M majuscule de Média a disparu… ComMédia : Com c’est pour Communication et Média c’est pour cette raison…
Quel est votre métier aujourd'hui? Ou quel a été votre carrière?
J’ai fait divers métiers… notamment consultante en Communication pour la Banque Mondiale sur des projets de l’environnement, Directrice Communication pour une société artisanat cambodgienne. Mais j’ai surtout dirigé des projets pour des bailleurs de fonds tel que USAID (l’Agence américaine pour le développement international). En ce moment, managing director pour une société pharmaceutique d’import/export. Présidente de la Fédération équestre cambodgienne et je fais du consulting dans les projets DRH- RSE
De quelle façon pensez-vous que la création du ComMédia vous aura été bénéfique, quant à votre expérience?
Bien sûr que la création du journal a été bénéfique… c’est une expérience pour les étudiants de travailler dans un journal, surtout si on veut devenir un journaliste. Et puis on rencontre les étudiants, on rencontre les professeurs, on tisse des liens pour eux, pour notre propre avancement en tant que personne. On prend de l’expérience dans l’organisation, dans les activités, car, pendant que j’étais étudiante, j’avais les cours, le journal, mais aussi je travaillais à l’extérieur pour me faire de l’argent de poche. Donc, bien occupée ! Il faut savoir s’organiser. Plus on est organisé, plus on peut faire de choses et faire avancer les choses. Je ne le répéterai jamais assez.
Que pensez-vous du modèle actuel du ComMédia ? (un article par semaine sur Facebook et sur le site internet mais nous en visons deux, un minimum de trois publications pour le même article afin de manipuler l'algorithme Facebook, puis un courriel envoyé à la fin du mois à tous les étudiants, et qui contient l'ensemble des articles hebdomadaires).
Génial, j’aimerais bien être sur votre liste d’envoi. C’est une bonne formule.
Quels sont vos conseils en ce sens?
Il faut savoir s’organiser. Plus on est organisé, plus on peut faire de choses et faire avancer les choses. Je ne le répéterai jamais assez.
Être dans les médias… c’est aussi savoir regarder le monde à travers ses yeux, mais aussi à travers les autres. Il faut toujours aller au bout de ses projets… même si parfois ils semblent insurmontables… Savoir se parer de gens compétents, faire confiance : ce sont des atouts.
Allez-vous lire le ComMédia ? ( vous n'êtes pas obligée de répondre « oui », ça serait plutôt drôle en fait x) ).
OUI absolument ! Je trouve ça formidable que le journal que j’ai créé existe toujours… Quand on a fait la moitié du chemin de son existence (comme c’est mon cas, j’ai 53 ans), même si on croit que les choses de la vie sont temporaires… rien n’est réellement permanent… le ComMédia nous rappelle que les belles choses peuvent subsister quasiment éternellement ☺. Et que son changement à travers les mains et les yeux de d’autres personnes l’a rendu encore plus magnifique…. L’aventure ComMédia continue et c’est ça qui est formidable.
Jérémie Bellefleur, rédacteur en chef du ComMédia