Après avoir discuté avec plusieurs femmes autour de moi, j’ai réalisé qu’elles ne se disent pas toutes féministes. Certaines disent ne pas vouloir être associé à ce mouvement parce que « ça va trop loin ». Certaines disent ne pas vouloir se positionner face à cet enjeu sachant que l’absence d’opinion est une position en soi. Certaines disent simplement ne pas s’y connaître. Moi qui croyais que le scepticisme venait principalement des hommes, j’ai été surprise par cette nouvelle perspective. Alors, j’ai décidé d’entreprendre des recherches, de regarder des documentaires, de lire des livres, de poser des questions ici et là pour comprendre ce qu’il se passe avec le mouvement féministe aujourd’hui.
Contexte :
« La misogynie est présente dans toutes les sphères de nos vies, et pour y mettre fin, il faut d’abord oser déconstruire les idées préconçues qui nous maintiennent dans un faux confort » - Bianca Lara-Maletto, membre du comité féministe de l’UdeM
Le féminisme, mouvement fondé sur la lutte pour l’égalité des sexes, a évolué au fil des décennies. Dans ses premières vagues, il s’est concentré sur des revendications fondamentales telles que le droit de vote et l’accès à l’éducation. Au fil du temps, le mouvement a diversifié ses objectifs et ses approches. Notamment avec la dénonciation des violences sexuelles, la justice reproductive, l’intersectionnalité et la masculinité toxique. Aujourd’hui, le féminisme se trouvent souvent confronté à des critiques, surtout sur les réseaux sociaux, où il est perçu par certains comme un mouvement qui a perdu son sens. Alors que les femmes ont acquis de nombreux droits, certains estiment que les nouvelles formes de féminisme ont perdu leur crédibilité.
Un féminisme mal compris
Selon Bianca Lara-Maletto, « Les réserves face au féminisme moderne viennent d’une incompréhension, qu’elle soit exprès ou pas, des messages que nous véhiculons au sein du mouvement ». Une étude menée en 2022 par l’institut Ipsos révèle que 43% des Canadiens considèrent que le féminisme est devenu trop extrême. Cette perception erronée est en partie alimentée par la désinformation sur les réseaux sociaux, où les idées féministes sont parfois caricaturées ou déformées pour paraître menaçantes. Ce manque de compréhension empêche de saisir les véritables enjeux, comme les inégalités structurelles ou la montée des discours antiféministes, renforçant ainsi la polarisation autour de la question. Pour y remédier, Bianca Lara-Maletto affirme que « Tout ça passe par l’éducation, autant dans les institutions d’enseignement que dans les espaces d’apprentissage comme à la maison ou entre famille ». Aussi, l’écoute des expériences des personnes directement concernées par la misogynie est essentielle.
Un exemple concret :
Sans surprise, le féminisme suscite des réactions, notamment chez certains hommes qui perçoivent l’égalité comme une menace à leur position sociale. Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’UQAM, explique cette résistance en soulignant la persistance des discours de crise de la masculinité. Ces discours, ancrés dans la peur de perdre des privilèges, alimentent des stéréotypes dénigrants envers les féministes : « Elles sont féministes par « haine des hommes », parce qu’elles sont « lesbiennes », ou « mal baisées » » (Deri, 2023, p.65). Pour ces hommes, le féminisme remet en question des modèles traditionnels qu’ils souhaitent préserver, refusant de reconnaître l’égalité comme un progrès collectif.
« Il y a des hommes qui ne veulent pas du féminisme, ils ne veulent pas de l’égalité, ils veulent protéger les modèles traditionnels, […] Ils voient l’égalité comme une menace. » - Francis Dupuis-Déri
Des critiques depuis toujours…
Les critiques envers le féminisme ne datent pas d’hier : depuis des décennies, des hommes expriment leur opposition, souvent en clamant que les femmes prennent « trop de place » ou ne respectent pas leur « rôle traditionnel ». Ce n’est pas nouveau, loin de là. En 1973, Richard Doyle publiait Men’s Manifesto et The Rape of the Male, revendiquant notamment la garde exclusive des enfants pour les pères en cas de divorce, tout en fondant la Men’s Rights Association (MRA). Puis, en 1982, des manifestant scandaient déjà que « ce sont les femmes qui oppriment les hommes ». Aujourd’hui, cette vision continue de se manifester à travers de nouveaux discours et mouvements.
Masculinisme
Le mouvement masculinisme, bien qu’il se présente comme un défenseur des droits des hommes, émerge paradoxalement dans un système où les hommes bénéficient déjà de privilèges institutionnels et sociaux. En revendiquant une oppression inexistante, ce mouvement détourne l’attention des inégalités réelles auxquelles les femmes font face. L’ironie de cette posture réside dans sa tendance à renforcer les structures patriarcales en place, tout en minimisant les luttes légitimes pour l’égalité des sexes. Par conséquent, plutôt que de favoriser un dialogue constructif sur les rapports de genre, le masculinisme risque de maintenir et légitimer les inégalités.
À la suite de l’annonce de l’invitation d’un homme masculinisme sur le plateau de Tout le monde en parle le 11 novembre 2024, de nombreuses réactions et critiques ont émergées. L’émission et Simon Coutu, le journaliste et réalisateur du documentaire Alphas, sont tous deux accusés de donner une visibilité à ce mouvement jugé dangereux. En réponse à ces reproches, Simon Coutu c’est défendu en déclarant :
« C’est un phénomène qui existe. Une minorité très bruyante. […] Le but n’est pas de donner un chèque en blanc, une glorification, c’est d’essayer de comprendre le phénomène »
On comprend alors qu’il s’inscrit dans une logique de « comprendre pour mieux agir ». Ça reflète l’idée qu’une meilleure compréhension d’un phénomène permet de prendre des mesures plus éclairées et adaptées face à celui-ci.
De l’autre côté, plusieurs personnalités publiques québécoises ont exprimé leurs préoccupations sur les réseaux sociaux concernant cette visibilité :
« C’est dangereux parce que ça donne une voix de plus à des gens qui vont en toucher d’autres et c’est gars-là ne vont pas comprendre l’importance du choix. […] Il y en a des filles qui sont comme: Oui, mais moi, j’aime ça, je supporte ça, j’ai le goût d’être à la maison, puis je n’ai pas envie de travailler. C’est correct, c’est ça le féminisme, c’est le choix, te donner le choix de faire ça. » Lysandre Nadeau, podcast Sexe Oral
Cette controverse illustre un dilemme crucial dans le traitement médiatique des sujets sensibles : entre la nécessité d’exposer et de comprendre un phénomène pour mieux y répondre, et le risque de lui offrir une plateforme qui pourrait le légitimer ou l’amplifier.
Engagement féminisme à l’UdeM
Le comité féministe de l’AÉSPÉUIM à l’Université de Montréal est un espace d’engagement dédié à la lutte contre les oppressions et les inégalités. Il offre un lieux sécuritaire où les étudiant.e.s peuvent s’exprimer, partager leurs expériences et trouver du soutien face aux discriminations, y compris les injustices épistémiques. Ce travail militant vise à sensibiliser, informer et mobiliser la communauté universitaire sur des enjeux féministes actuels.
Pour Bianca Lara-Maletto, son engagement au sein du comité représente une manière concrète de militer pour une cause qui lui tient à cœur. Elle explique que le féminisme se manifeste à travers des actions quotidiennes visant à réduire les injustices systémiques et les souffrances vécues par les femmes. Bien que ces actions puissent parfois sembler modestes, leur impact qu’il soit petit ou grand, reste significatif et gratifiant pour les membres du comité.
Cependant, militer dans un tel contexte n’est pas sans défis. Les membres du comité font souvent face à une violence antiféministe marquée par des accusations d’être « hystériques » ou de « semer la zizanie ». Malgré ces obstacles, elles poursuivent leur travail avec détermination, convaincues que l’information et l’éducation sont des outils essentiels pour faire évoluer les mentalités et promouvoir l’égalité.
Un combat pour la liberté de choisir
Le féminisme est un mouvement en constante évolution, qui reflète les besoins et les enjeux de chaque époque. Pourtant, il demeure marqué par des tensions entre un soutien généralisé à ses valeurs fondamentales et un scepticisme croissant face à certaines de ses formes modernes. Encore aujourd’hui, beaucoup de personnes expriment des réserves ou une hésitation face au mouvement. Après avoir analyser ce constat, il apparaît que la montée en puissance des réseaux sociaux, combinées à une désinformation omniprésente, contribuent à une incompréhension généralisée du mouvement. Ce brouillage des messages rend difficile pour plusieurs de cerner les véritables objectifs du féminisme et alimente des malentendus qui freinent son avancée. Comme l’a si bien exprimé Lysandre Nadeau, « le féminisme, c’est le choix ». Le choix pour chaque femme, et pour toutes les personnes, de déterminer leur propre chemin sans contrainte ni discrimination. Ce choix englobe tout : la possibilité de choisir sa carrière, de porter ce que l’on veut, d’être mère ou de ne pas l’être, de parler ou de se taire, d’aimer librement ou de vivre en célibataire. Il ne s’agit pas d’imposer un modèle unique, mais de garantir à chacun et à chacune la liberté de vivre selon ses propres aspirations.
Maxime Gravel
Bibliographie
Heiniger, A. (2019) . Francis Dupuis-Déri : La crise de la masculinité. Autopsie d’un mythe
tenace. Nouvelles Questions Féministes, Vol. 38(2), 149-152. https://doi.org/10.3917/nqf.382.0149.
Coutu, S. et Légaré, M. (2024). Alphas. Documentaire. 53 minutes. https://www.telequebec.tv/alphas
De Beauvoir, S. (1949). Le deuxième sexe. Tome 1 : les faites et les mythes. Éditions Gallimard. 1072 pages.
Dupuis-Déri, F. (2023). Les Hommes et le féminisme : faux amis, poseurs ou alliés? Remue-Menage. 128 pages.
Dupuis-Déri, F. (2018). La crise de la masculinité. Remue-Menage. 320 pages.
Ipsos. (2023). Égalité des sexes : si l’opinion mondiale y reste attachée, la moitié estime qu’elle se fait au détriment des hommes. Ipsos. https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2023-03/International%20Women%27s%20Day%202023%20-%20full%20report.pdf
Lara-Maletto, B. (2024). Entrevue par Maxime Gravel
Lopez, M. (2017). Enjeux et défis de l’appropriation de l’intersectionnalité au sein du mouvement des femmes du Québec. Ligue des droits et libertés. https://liguedesdroits.ca/enjeux-et-defis-de-lappropriation-de-lintersectionnalite-au-sein-du-mouvement-des-femmes-du-quebec/
Saint-Pierre, R. (2024). Lysandre Nadeau donne son avis sur les Mâles Alpha. Petit petit gamin. https://www.petitpetitgamin.com/2024/11/20/lysandre-nadeau-donne-son-avis-sur-les-males-alpha/
Toute le monde en parle. (10 novembre 2024). Documentaire Alphas : machos en puissance.
Radio-Canada. 22 minutes. https://ici.radio-canada.ca/tele/tout-le-monde-en-parle/site/segments/entrevue/1904568/simon-coutu-alphas-masculinisme-hommes