Je suis née cette nuit, juste avant que s’amorce la tempête,
Elle a choisi ma mère pour victime, elle attend calmement dans sa tête,
Je suis née cette nuit, dans les bras aimants de mes parents,
Leurs yeux pleins d’eau, fiers, ils se jurent de toujours protéger leur enfant.
Trois heures de bonheur, et puis la tempête s’est déchaînée,
Brisant tout sur son passage, mes parents et leur passé,
Au coup de neuf heures, ils se retrouvent enfin,
Pour décider de la garde de leur fille, encore qu’un bambin.
Mon père est le plaignant, ma mère est l’accusée,
Il la désigne de tous les noms : schizophrène, danger public, aliénée,
Après une heure de délibérations, ma mère gagne sa cause et fait blanchir son nom,
Malgré sa victoire apparente, elle n’a toujours pas retrouvé sa raison.
Il est dix heures, ma mère m’emmène en voiture à l’école,
L’école est un paradis, j’en profite, je deviens folle!
Car la vraie folle est chez moi, elle discute avec un homme invisible,
J’ai déjà essayé de le voir, mais je conclus que c’est impossible.
À l’heure du dîner, ma journée devient un supplice,
Je veux appeler mon père, mais j’ai peur de la police,
Ma maman me sourit à ce moment, je comprends alors qu’elle m’aime,
Ce n’est pas de sa faute si elle n’est pas elle-même!
Avec l’après-midi arrive l’adolescence.
Que puis-je faire? Inviter des amis? J’ai peur de ce qu’ils pensent.
Je ne veux pas aller au restaurant non plus, je me forge une carapace,
Personne d’autre ne peut comprendre, il n’y a que moi dans cette impasse.
Vers trois heures, je m’interroge, pourquoi tout ce jugement?
Je comprends dans un cours d’économie, les motifs de ces ignorants,
Ils veulent imposer une taxe à ma mère, détruire mes espérances,
Elle n’a pas le droit d’être malade, elle doit payer pour sa démence.
Le manque de respect est commun dans notre société,
Obsédée par la recherche de la normalité et la condamnation des oubliés,
Notre société est plus malade que le malade, elle souffre de ce tabou,
Mais moi, depuis six heures ce soir, les conventions je m’en fous.
Le soir venu, ma mère décide de dormir dans un hôtel cinq étoiles,
Très populaire, il fait fureur, son nom est l’hôpital,
Une artère bloquée l’a invitée, un mal héroïque,
Elle reçoit enfin le plus beau des cadeaux : des antibiotiques.
Trois heures sont passées, il est maintenant neuf heures,
Son séjour interminable tire à sa fin, pour notre plus grand bonheur,
Pour la première fois, je sors avec elle, sans crainte des regards,
Je suis même fière, je souris, je ris, je crie, elle sort de son cauchemar.
Depuis, je reçois plein d’appels, de ma famille et surtout de mon père,
Bravo pour ton courage! Tu as vaincu ta guerre!
Quoi, vous saviez? Pourquoi aujourd’hui plutôt qu’hier vous m’appelez?
L’hypocrisie est insoutenable, mais demain ma mère sera là pour me réconforter.