L’avenir du journalisme – un rêve ou un cauchemar devenu réalité?

Vous connaissez le sentiment de l’imposteur? Cette impression que vous ne méritez pas votre place dans une situation donnée? Eh bien, c’est le sentiment que j’ai eu en feuilletant les anciennes éditions du ComMédia. Retrouvés dans les archives du département, elles témoignent d’un dévouement incommensurable à la production d’un journal digne de ce nom. Caricatures, sommaire, Vox Pops politiques, contes, courriers ludiques et cocasses, et plus encore; de quoi faire sentir une rédactrice un peu inadéquate!

Blague à part, cela m’amène à me questionner sur l’écart entre le ComMédia dans les années 90 et celui d’aujourd’hui. Ce dernier, publié en ligne, me semble moins propice à la production d’un médium qui suit vraiment les codes du journalisme traditionnel. En effet, depuis la mise en ligne du ComMédia, il semble qu’une partie de la fibre journalistique ait été perdue dans le processus; voyons ce qui pourrait expliquer cela.

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Il est évident que l’ère numérique a changé l’essence même du travail de journaliste. Comme le mentionne Daniel Cornu dans son article pour la revue Éthique Publique, « Le Web brouille les frontières entre médias et société, entre journalisme et public. Il fait intervenir de nouveaux acteurs. Des rôles sont redistribués. […] La mobilité est constante : rôles interchangeables, usages hybrides, changements de costumes. »

Cette mobilité et hybridité dont parle l’auteur est très représentative de la réalité du journalisme en ligne, avec son rythme effréné et son implantation assez commerciale dans divers milieux en ligne. C’est d’ailleurs ce qui explique l’allure générale des articles journalistiques aujourd’hui : courts et formatés pour la lecture en ligne, ils se doivent d’être publié rapidement, en grand nombre, et de savoir captiver l’attention du lecteur. Toutefois, comme l’affirme Dominique Payette, professeure de journalisme au Département d’information et de communication de l’Université Laval, ce mode de production peut mener à un plus grand risque d’erreurs, et à une moins bonne qualité d’information, qui reste plus superficielle.

Soulignons aussi que le processus de recherche en journalisme est bien différent de ce à quoi il ressemblait il y a 30 ans de cela. Thierry Watine, également professeur de journalisme au Département d’information et de communication de l’Université Laval, compare cette transition à la façon dont le fait de faire ses courses au supermarché a évolué; au fil des dernières décennies, on a rajouté des rangées, mis sur les tablettes de nouveaux produits variés, si bien qu’en bout de ligne, on finit par se perdre dans la multitude de choix. Il en va de même pour la recherche : on dispose d’une tonne de ressources en ligne pour s’informer sur un sujet, mais il peut être difficile de faire des choix parmi celles-ci, et de savoir qu’elles sont fiables et donnent de l’expertise sur le sujet choisi.

On notera pour terminer que le caractère humain du journalisme semble être égaré. En effet, l’intelligence artificielle prend de plus en plus de responsabilités dans le domaine, à présent capable de produire des articles factuels de manière efficace sur à peu près n’importe quel sujet. Ce genre d’outil est parfaitement adapté à la demande de l’industrie du journalisme en ligne, ce qui laisse moins la place aux discussions et aux connexions en face-à-face entre un journaliste et une personne passée en entrevue. Dominique Payette mentionne d’ailleurs qu’il est dommage qu’on retrouve moins de travail de terrain qu’avant dans le métier de journaliste, qui est pourtant élémentaire à ce dernier. Il s’agit vraiment de la meilleure manière de comprendre le sujet que l’on aborde et de récolter des perspectives variées et, qui sait, peut-être incroyablement significatives.

C’est ce manque de place à la communication hors ligne qui, je crois, est symptomatique du journalisme à l’ère numérique et des métiers de l’information de manière générale à l’heure actuelle. J’aimerais terminer avec un extrait d’un article nommé : « Et j’ai très peur… » dans l’édition du ComMédia du mois d’avril 1994. Son auteure, Isabelle Coulombe, discute des nouvelles technologies de l’information et mentionne avoir peur, parce qu’elles font en sorte que « l’individu s’isole dans une société qui tend de plus en plus vers l’individualisme; dans une société où les valeurs anciennes font piètre figure. » Cet extrait est assez ironique, parce que 29 ans plus tard, à l’ère des réseaux sociaux, notre présence en ligne est pratiquement plus parlante que notre présence dans le monde actuel, nous poussant vers une société de plus en plus narcissique et isolatrice. Pourtant, cette recherche de la connexion « humaine », on ne l’a pas perdue; on reste dans l’attente d’un retour aux sources, de la trouvaille de plaisir hors ligne. C’est pourquoi je pense qu’il vaudrait la peine de réfléchir à où, exactement, nous emmène le journalisme en ligne, et où est-ce que nous aimerions le voir aller?

Sarah-Maude De Rive

Sources

https://www.redacteur.com/blog/redaction-robot-journalisme-avenir-presse-en-ligne/

http://impactcampus.ca/le-mag/decembre-2020/journalisme-a-lere-numerique-defis-outils-informer/

https://journals.openedition.org/ethiquepublique/1073?lang=en