Selon Shane Smith, actuel PDG de Vice, la recette est simple : « We want to do three things : We want to make good content, we want to have as many eyeballs as possible see that content, and we want to make money so that we can keep paying to do that content ». C’est ainsi qu’en couvrant tous les types de sujets jusqu’aux plus tendus (zones de guerres, politiques, extrémisme, drogues) que les propriétaires de Vice ont pu mettre en place et maintenir des ententes avec des clients comme Google, Levi’s et Intel. « Even when Vice was at its craziest and most zany and salty, we were still 50 percent ads », ajoute-t-il pour AdWeek. C’est donc dans cet équilibre osé que Vice prolifère autant : « Our success lies in finding brands that are sophisticated enough to realize that they should sponsor that content ». Comme l'explique Suroosh Alvi (également PDG de Vice) sur la question du contenu : « Nous produisons un contenu honnête, nous permettons aux gens d'avoir une opinion et nous montrons l'autre facette de la nouvelle », le tout d’un œil beaucoup plus grand et pouvant se focaliser sur n’importe quel sujet comparé à ses débuts : « We’ve grown up, transformed, changed, evolved. There’s very little apart from the original core mission of wanting to tell good stories ».
Qu’en advient-il alors de la « culture Vice », de son essence même d’origine? Cet esprit punk de parler des gens qu’on ne voit pas et dont les médias traditionnels ne nous font pas entendre les voix, une approche non conventionnelle du journalisme et de la communication, elle-même définie par Smith comme « the first international voice for the universality of youth-subculture ».
Il y a un mois, je suis allé interviewer Simon Coutu, journaliste à Vice Québec (que vous pouvez apercevoir dans les Vice du Jour), afin d’en savoir plus sur la mentalité du média et de leur approche à l’information à travers son expérience.
M : Tu avais déjà cette envie de suivre la « culture Vice », de parler des gens qui...
S : Oui, je venais de la musique, j’ai un passé un peu punk, c’est sûr ça m’intéressait. Je connaissais bien le magazine, mais ce qui m’a surtout rejoint ça s’appelait VBS, à l’époque, qui était comme la chaine vidéo de Vice sur Internet et il y avait une série/un DVD qui s’appelait VICE guide to travel et les journalistes allaient partout dans le monde faire du journalisme décomplexé, puis je trouvais ça vraiment cool.
M : Tu as des thèmes qui te passionnent plus que d’autres?
S : C’est souvent la culture hip-hop, un peu de sport, la drogue.
M : Ça reste donc très urbain?
S : Ouais, et aussi tout ce qui est extrême droite, antifascisme et environnement.
M : D’accord, et tu te considères comme engagé?
S : Non, je ne suis pas engagé par contre. Mon mandat c’est de parler autant à la meute qu’aux extrêmes gauches et après les gens se font de tête avec les faits. On ne se contente pas de montrer. Il n’y a pas un journaliste qui est complètement objectif dans la vie, mais moi, je ne veux pas être engagé.
M : Même si tu abordes des sujets controversés, tu arrives quand même à avoir une approche grand public? Comment arrives-tu à vulgariser des choses telles que tes sujets?
S : Ce sont de bons défis. Aujourd’hui, c’est un bon exemple : j’étais avec un rappeur qui sort de prison, puis ce n’est pas évident parce que les rappeurs ont des codes, tu ne peux pas poser n’importe quelle question. Les gens qui sont dans le milieu ne s’attendent pas à ce que tu te trouves… Je veux dire… Je ne sais pas… Ce n’est vraiment pas évident. Après, je me suis donné un peu, pas comme un engagement, mais une petite mission très humble de vouloir couvrir un peu plus que les autres en partant de la musique qui est complètement occultée par les rappeurs mainstream et de la rendre relativement accessible. Après, je trouve que c’est super accessible. Mais je ne pense pas ça que ce soit un défi de rendre ça accessible, mais que c’est un défi de… moi je trouve que les rappeurs sont les gens parmi les plus intéressants parce que c’est tellement pas mon monde. Je trouve ça plus intéressant de faire une entrevue avec un rappeur qu’avec un gars d’un groupe d’indie rock parce que ce gars, il est comme moi, il vient du même contexte blanc, souvent classe moyenne. Après, quand je fais une entrevue avec un gars dont ses parents ont immigré d’Haïti, qu’il a grandi à coups de poing sur la gueule dans la Petite Bourgogne ou dans St-Michel, qu’il a fait de la prison, qu’il a vendu de la drogue, c’est complètement à côté de ma réalité, donc ça me fascine! Mais après, c’est un plus grand défi parce que je deviens un outsider complètement dans ce monde là et je m’ouvre à dire des conneries. C’est vrai. À poser des questions qui vont aller à l’encontre d’un certain code de la rue que ces gens-là ont et que je n’ai pas nécessairement.
M : Des questions maladroites en fait?
S : Complètement. J’ai déjà demandé à un rappeur : est-ce que tu considères que tes textes sont misogynes? Puis là moi, je suis dans un cadre où je fais du journalisme et je challenge tout le monde sur ce qu’ils font, mais reste que ça fait partie des codes qui sont comme acceptés dans ce milieu là, je le sais parce que j’en écoute beaucoup de rap, mais après, je suis là puis je pose les questions dont j’ai envie, puis des fois ça peut déranger.
M : Dirais-tu que tu as un style de journalisme?
S : J’essaye de raconter le moins possible ce que les autres racontent.
M : Comment décrirais-tu un média tel que Vice?
S : C’est difficile, on me pose souvent la question. Je trouve que c’est plus média qui n’est pas parfait, mais qui est « anti-bullshit » peut-être, un média qui est immersif dans son approche.
M : Il y a donc une certaine équipe de journalistes qui sont triés pour correspondre à cette image?
S : Oui, j’ai l’impression que c’est un mélange de gens qui ont l’expérience du terrain, voir de la rue dans certains types de trucs, mais aussi de rigueur journalistique. C’est un mélange des deux types : de « street-cred’ » et de rigueur.
On remarque que cette approche provocatrice, décomplexée et appuyée par des images fortes tout aussi chargées de contenu ont construit Vice dans son passé et continueront semblablement dans son futur. Voilà, la voix de Vice n’a pas vraiment changé, elle est restée l’une des meilleures plateformes pour découvrir des cultures/sous-cultures. Elle a juste changé son approche et diversifié ses sujets pour parler au plus de monde possible malgré ce lien fort aux milleniaux, le tout en offrant un point de vue immersif et objectif.
À voir maintenant si paradoxalement ce média à l’origine alternatif n’est pas en train de devenir mainstream et de perdre son essence même.