Tout le monde le sait : en matière d’environnement, Justin Trudeau navigue entre deux eaux. D’un côté, il en exploite les ressources ; les sables bitumineux en premier plan. De l’autre, il tente de renouer avec l’image d’un Canada vert sur la scène internationale… Du moins, était-ce le cas au début de son mandat, alors qu’il cherchait à se détacher de Stephen Harper et de son manque d’ambition assumé. Mais à l’heure des comptes, alors que les élections approchent, le premier ministre se fait critiquer de toutes parts.
En 2015, durant les élections, j’ai dû arrêter de compter le nombre de fois où Justin Trudeau affirmait haut et fort qu’il avait un « plan ». Un plan pour à peu près tout. Un plan qui combinerait à merveille économie et environnement : un modèle mondiale en développement durable, ni plus ni moins. C’est pourquoi bien des gens étaient restés surpris lorsque son discours de victoire avait omis le mot « environnement ». Un oubli permanent? Les caméras, avides de filmer ses actions, braquées sur lui à la Cop21, ont vite changé de cap.
Je ne mêle en rien le rouge à l’orange ; la couleur libérale semble peu congruente aux tons plus osés des solidaires du Québec. Le parti au pouvoir se veut surtout libéral dans ses objectifs économiques et ne s’en cache nullement, d’ailleurs. Aux dernières élections fédérales, Trudeau était déjà clair sur ce point : il allait concilier environnement et projets de pipelines dans un même projet d’avenir. Son gouvernement fut élu sur ce point parmi d’autres. Cependant, voilà que les écologistes (y compris Greenpeace) qu’avait réussi à convaincre le jeune chef libéral se retournent contre lui, et qu’ils manifestent contre ce « plan » aux multiples ambiguïtés. L’inestimable appui de la Colombie-Britannique conférait aux opposants un poids de taille, ce qui a poussé Ottawa à racheter le pipeline Trans Mountain, histoire de préserver les emplois anticipés. En effet, les menaces de Kinder Morgan quant à une annulation de leur projet de pipeline, en raison des complications liées au protestations pro-environnementales, ont mis de l’avant les priorités réelles de notre gouvernement (et conduit à l’achat dudit pipeline). Les conséquences appréhendées tournent notamment autour d’un risque accru de déversements et d’accidents maritimes (en raison du retraçage des voies navigables). Greenpeace croit maintenant que les positions du gouvernement entrent en contradiction avec les droits des communautés autochtones, qui sont pourtant l’un des chevaux de bataille du cabinet Trudeau. Ces communautés ont toujours souligné les nombreux effets nocifs du projet et leur impact fut indéniable dans la décision d’en suspendre le cours. On les a ignoré. Pour un gouvernement qui s’était fixé comme objectif de « Rétablir ( suite aux débâcles du gouvernement Harper) une surveillance rigoureuse et des évaluations environnementales approfondies dans les domaines qui relèvent de la compétence fédérale », cela laisse à désirer. Elizabeth May, chef du Parti vert, considère qu’il s’agissait du « pire processus d’examen environnemental de notre histoire ». Toujours en lien avec ce dossier, deux autres vieilles promesses (environnementales) des libéraux semblent avoir disparu dans la brume :
Garantir que les décisions se fondent sur des faits et sur des données scientifiques et probantes;
Obliger les promoteurs de projets à choisir les meilleures technologies pour réduire les répercussions sur l'environnement.
Plus récemment, en 2018, le gouvernement canadien a reconnu qu’il n’atteindrait pas les cibles de réduction de GES, tel que convenu par les accords internationaux. Invité à Tout Le Monde en Parle il y a quelques semaines, monsieur Trudeau a toutefois insisté : Ottawa va réussir à réduire ses émissions de 30% d’ici 2030 (représenté par le segment gris dans le tableau ci-dessous).
Source: Gouvernement du Canada, Vérificatrice générale du Canada
Cela équivaudrait à une émission de 583 mégatonnes de GES, en 2030, comparativement aux 716-730 mégatonnes de ces dernières années. Selon l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), cela n’arrivera pas, vu l’actuel contexte d’exploitation des sables bitumineux. À Tout le Monde en Parle, le premier ministre n’a pas dévoilé grand détail sur la manière d’atteindre ces cibles.
« La Stratégie fédérale de développement durable (SFDD) constitue le plan et la vision du gouvernement pour un Canada plus durable » d’après le site gouvernemental. De 2010 (Harper) à 2016 (Trudeau), voilà un autre « plan » qui n’a pas vraiment évolué, et dont voici les principaux objectifs depuis six ans :
ambitieux;
donnent une vision à long terme;
s’attaquent à des défis et des problèmes importants;
restent harmonisés avec les renseignements, les données
et les indicateurs environnementaux;
encouragent la souplesse dans le choix des stratégies
pour les atteindre; et
tiennent compte des priorités et des engagements
nationaux et internationaux
En bref, il est évident que l’économie constitue un enjeu majeur, et nécessaire, pour toute société. Si les gouvernements dits « économiques » sont portés au pouvoir, tels que la CAQ au Québec, ou les libéraux au fédéral, c’est bien sûr parce qu’on les a élus, normalement en fonction de nos intérêts premiers. Trans Mountain devrait créer 15 000 emplois. Néanmoins, vu le récent mouvement qui se met en marche, teinté par des soucis en environnement et le projet de décroissance, ce genre de gouvernement éprouvera probablement quelques difficultés futures à jouer sur deux tableaux. Bien des politiciens devraient jeter un coup d’oeil à cette fameuse « horloge apocalyptique » : il est minuit moins deux. Pour Justin Trudeau, si « minuit » sonne, ce sera aux élections de 2019.
Jérémie Bellefleur
Références:
http://fsds-sfdd.ca/downloads/SFDD_2016-2019_final.pdf
https://iris-recherche.qc.ca/blogue/environnement-quand-trudeau-contourne-les-questions
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1103714/achat-oleoduc-trans-mountain-prolongement-kinder-morgan
https://www.ledevoir.com/monde/asie/518483/l-horloge-de-l-apocalypse-avance-a-minuit-moins-deux