Fidèle à moi-même, et mon sens aigu de la justice, je ressentais le besoin de partager ces réflexions qui me travaillent depuis quelques temps.
Je suis principalement entourée de filles ou de femmes : mes amies sont presque toutes des filles. Voilà pourquoi j’ai décidé de parler d’elles. Ne croyez pas que je pense que celles-ci sont les seules concernées par mes propos, je sais bien au contraire que beaucoup de garçons et d’hommes font face à ces mêmes problématiques. Or, je préfère écrire en connaissance de cause et ce sont surtout des filles et des femmes qui m’entourent.
Bien que j’étais consciente de bien des problèmes particulièrement associés aux femmes, comme les troubles alimentaires, les complexes d’apparence physique ou le harcèlement sexuel, ce n’est que tout récemment que j’ai réalisé à quel point énormément de filles et des femmes, incluant moi-même, souffrent d’un manque de confiance en elles. Dans certains cas, ça se limite à une ou à quelques parties de leur physique, ou encore à l’ensemble de leur physique; parfois, ça se limite à une ou à quelques parties de leur personnalité, d’autres fois à l’ensemble de celle-ci; parfois, ça englobe tout leur être au point où elles ne sont plus bien du tout dans leur peau.
Je croyais être plutôt seule là-dedans jusqu’à ce que des amies s’ouvrent peu à peu à moi et que je réalise que je n’étais pas seule. Une amie souffrant d’anorexie, une amie souffrant d’orthorexie, une amie s’entraînant de manière excessive, une amie complexée par la largeur de ses hanches, une par ses poignées d’amour, une par son petit ventre, une par ses trop petits ou trop gros seins, une par son acné ou ses rougeurs au visage, une amie persuadée de sa laideur, une amie qui n’ose pas se mettre en maillot de bain devant les autres, une amie qui ne pose pas des questions en classe par peur de paraître stupide, une amie convaincue de couler ses examens alors qu’elle a toujours des A. Vous comprenez, je pourrais continuer comme ça pour des lignes et des lignes.
Avant de poursuivre votre lecture, je vous invite d’ailleurs à regarder cette courte vidéo à la fois touchante et percutante. On y voit deux femmes, deux meilleures amies, ayant écrit les choses qu’elles n’aiment pas de leur propre corps, et se les lisant à haute voix : https://www.youtube.com/watch?v=LzT2ZzDXceg.
Mais pourquoi les femmes sont-elles si complexées? Pourquoi sont-elles si insécures? Je n’ai pas de réponse objective à ces questions (et je crois qu’y prétendre est impossible). Mais certaines pistes me semblent évidentes.
D’abord, on le sait déjà (mais on n’en parle tellement pas assez) qu'avec la publicité et les réseaux sociaux, la pression envers les femmes pour se conformer à des versions stéréotypées de la beauté et de la personnalité en général est immense, insupportable. Tous les jours, elles sont inondées d’images publicitaires, commerciales ou même personnelles altérées par Photoshop (logiciel d’édition d’image permettant notamment d’amincir les corps et de changer la couleur de la peau) ou des applications mobiles telles qu’Instagram (ajustement de la luminosité, les filtres, etc.). Il a depuis longtemps été prouvé que ces photos « perfectionnées » et irréalistes en accord avec les standards de beauté dominants dans la société ont un effet négatif sur les femmes, leur image corporelle et leur estime d’elles-mêmes (Jones, 2012; Crosson, 2014; Brown, 2014; Waller, 2015). En effet, celles-ci ont tendance à percevoir ces images comme fidèles à la réalité et à se baser sur celles-ci pour savoir ce qui est considéré comme normal ou désirable et deviennent insatisfaites de leur apparence souvent éloignée (défavorablement) de ces représentations. Pas étonnant de voir qu’un grand nombre de femmes, en particulier les adolescentes, développent des problèmes psychologiques tels que les troubles alimentaires. Et le pire dans tout ça, c’est qu’on ne se rend plus compte de l’influence de ces images tellement qu'elles sont omniprésentes. Elles sont devenues une véritable norme culturelle.
Ajoutons à cette explication le format des réseaux sociaux tels que Facebook et Instagram. Ceux-ci favorisent la visibilité et la rétroaction (mentions « j’aime », commentaires, partages, etc.), et plus un utilisateur reçoit de la rétroaction, plus celui-ci devient populaire et valorisé par les autres (Van Dijck, 2013). Mais comment l’utilisateur fait-il pour aller chercher cette rétroaction? Encore là, nous savons depuis plusieurs années déjà que les utilisateurs des réseaux sociaux présentent une image embellie d’eux-mêmes, souvent conforme aux standards de beauté véhiculés par la société, dans le but de faire bonne impression sur leur audience (Herring et Kapidzic, 2015; Lupinetti, 2015; Turkle, 2011). Voyez-vous le cercle vicieux?
Les femmes sont non seulement exposées à des images perfectionnées et superficielles à travers la publicité, mais également au sein de leur propre cercle d’« ami.e.s » à travers les réseaux sociaux. Difficile de maintenir une perception réaliste de soi-même et des autres (et une bonne santé mentale) avec tout ça. La comparaison de femmes (surtout pour leur beauté) entre elles ou par les hommes est un véritable fléau, où certaines sont classifiées/discriminées comme « très belles », d’autres comme « belles », d’autres comme « correctes », d’autres comme « laides » et d’autres comme « affreuses ». C’est une compétition où tout le monde et personne ne gagne (tout le monde parce qu’il y a toujours une femme plus laide que soi pour se trouver plus belle et personne parce qu’il y a toujours une femme plus belle que soi pour se trouver plus laide). En fait, personne ne gagne vraiment.
Ensuite, il me semble que la socialisation des femmes est un autre facteur important. Dès un très jeune âge, les femmes apprennent à se soucier du regard de l’autre, l’importance de la beauté, et ce que c’est qu’ « être belle » dans sa définition la plus étroite. Quand on complimente une petite fille, on lui dit souvent qu’elle est donc bien « belle ». J’ai l’impression que la culture dans laquelle je baigne valorise plus la beauté que n’importe quel trait chez la femme. Les industries de la mode et des cosmétiques carburent à la faible estime de soi, vendant des tonnes de produits aux femmes en leur promettant de les rendre belles et valorisées aux yeux de la société. Les films, la télévision, la musique, les vidéo-clips et la pornographie carburent à la présentation de femmes jeunes, flawless et féminines. Je ne dis pas que vouloir paraître à son avantage est mauvais, bien au contraire. Il n’y a rien de mal à se dorloter, à se maquiller et à porter des vêtements que l’on trouve beaux! Mais la vie n’est pas une compétition de beauté.
J’ai aussi l’impression que la culture valorise le perfectionnisme chez la femme. Très jeune, elle apprend qu’elle sera reconnue et aura une grande valeur si elle fait les choses soigneusement et parfaitement. On lui fait des éloges pour sa perfection et elle, à son tour, en vient à désirer ou même avoir besoin de cette approbation. Et sa confiance en soi se basant sur cette approbation, ce regard de l’autre, elle sera très instable. Si elle reçoit des regards et des commentaires positifs, elle se sentira bien et valorisée; si elle reçoit des regards et des commentaires négatifs, ou si ces regards et commentaires sont absents, elle se sentira mal dans sa peau et sans valeur.
Comme le soulignent Kay et Shipman dans ce merveilleux article (https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2014/05/the-confidence-gap/359815/), ce désir de perfection la suivra toute sa vie. Si elle voit beaucoup de ses collègues masculins prendre des risques, elle attendra souvent d’être 100% sûre, parfaitement prête et qualifiée pour passer à l’action. Elle évitera souvent de prendre des risques et de faire des erreurs, des éléments pourtant incontournables dans la construction de la confiance en soi. Elle se mettra elle-même une pression d'atteindre la perfection dans presque toutes les sphères de sa vie.
Finalement, il me semble que je ne peux pas passer à côté de la question historique. Pendant des décennies, des siècles, les femmes ont fait profil bas, ont vécu dans l’ombre des hommes. Nous avons considérablement progressé, certes, mais l’histoire laisse des traces et fait partie de qui nous sommes aujourd’hui. Par exemple, comme le mentionnent Kay et Shipman dans leur article, oui les femmes souffrent d’un manque de confiance en elles, mais quand elles réussissent, s’affirment et agissent avec assurance, surtout en milieu professionnel, elles risquent de déplaire et d’être perçues comme étant agressives (et peuvent en payer un bien plus haut prix que les hommes).
Mon article peut sembler assez sombre et pessimiste, je vous l’accorde. Mon but ici n’est pas que vous finissiez cet article en vous disant que c’est épouvantable et qu’il n’y a rien à faire. Oui, c’est épouvantable, mais non, il n’y a pas « rien à faire ». J’aimerais terminer sur une note positive en parlant de tout ce qui me donne espoir autour de moi. Je vois des femmes (et des hommes) qui n’acceptent plus le harcèlement et qui martèlent l’importance du consentement (#metoo, #timesup, #etmaintenant), des femmes faisant partie du « body positive movement », qui adoptent une attitude de pardon, d’amour et d’affirmation envers leurs corps et qui n’ont plus peur de sortir sans maquillage ou de montrer leurs rondeurs, des femmes aux études supérieures ou occupant des positions professionnelles il n’y a pas si longtemps encore réservées aux hommes.
Il y a tellement de progrès autour de moi et il ne faut surtout pas lâcher, mesdames! Continuez comme ça, ne retenez pas seulement vos faiblesses ou vos travers, mais aussi vos forces et vos exploits! N’ayez pas peur de dire non, de poser vos limites sans vous sentir coupable! Donnez-vous le droit à l’honnêteté et l’intégrité, à la différence, sans vous sentir obligées de vous justifier! Faites un doigt d’honneur au mythe de la perfection et embrassez vos imperfections! Apprenez à vous aimer et vous respecter inconditionnellement, à croire en votre propre valeur indépendamment de vos accomplissements extérieurs! Cesser de vous comparer aux autres, tout le monde est différent et c’est ce qui fait la beauté de la vie! Essayez de changer votre discours intérieur pour le prendre plus constructif et bienveillant à votre égard, parlez-vous comme si vous parliez à votre meilleure amie! Prenez du recul et gardez un regard critique sur la pression sociale et médiatique, sur les images de la publicité et des réseaux sociaux! Prenez conscience de vos propres jugements envers vous-mêmes et les autres, faites un doigt d’honneur à la voix intérieure qui vous dit de douter de vous-mêmes et prenez des risques, faites des erreurs, parce que c’est HUMAIN!
Je sais, tout cela est tellement plus facile à dire qu’à faire, mais je suis persuadée que si on se le répète tous les jours, les choses vont continuer de s’améliorer. Comme dirait Obama, « Change will not come if we wait for some other person or some other time. We are the ones we've been waiting for. We are the change that we seek ». En d’autres mots, tout changement global commence par un changement individuel; il faut d’abord se changer soi-même si l’on veut changer les choses.
Vous êtes TOUTES des petits trésors. Peu importe votre apparence physique, votre personnalité, vos qualités, vos talents, vos défauts et vos imperfections, CHACUNE de vous est précieuse, a de la valeur, est forte et courageuse, est intelligente, est magnifique, est intéressante, est importante, et mérite d’être aimée. Vous avez toutes les raisons du monde de croire en vous.
Et surtout, VIVE LA DIVERSITÉ! Célébrons les différences que la vie nous a données… parce que si tout le monde était pareil, maudit que ça serait plate!
Je vous aime,
Laurie
Bibliographie
· Brown, A. (2014). Picture [Im]Perfect: Photoshop Redefining Beauty in Cosmetic Advertisements, Giving False Advertising a Run for the Money. Texas Review of Entertainment & Sports Law, 16, 87‑106. Repéré à http://heinonline.org/HOL/Page?handle=hein.journals/tresl16&div=10&id=&page=&collection=journals
· Crosson, S. (2014). Photoshop Flawless: Is Excessive Digital Alteration of Commercial Photography Fraud and Deceptive Advertising Regulating California Businesses: Are Current Laws Best Serving the State’s Economic Interests or Has the Sun Set on California. Nexus: Chapman’s Journal of Law and Policy, 20, 67-92. Repéré à http://heinonline.org/HOL/Page?handle=hein.journals/nex20&div=7&g_sent=1&casa_token=&collection=journals
· Herring, S. C. et Kapidzic, S. (2015). Teens, gender, and self-presentation in social media. International encyclopedia of social and behavioral sciences, Oxford: Elsevier. Repéré à http://ai2-s2-pdfs.s3.amazonaws.com/4069/e1f9e117696e501ca68bb283175d8da68d11.pdf
· Jones, M. (2013). Media-Bodies and Photoshop. Dans Controversial Images (p. 19‑35). Palgrave Macmillan, London. doi:10.1057/9781137291998_2
· Lupinetti, V. M. (2015). Self-presentation and social media: A qualitative examination of the use of Instagram by amateur NPC female figure competitors (Thèse de doctorat, San José State University). Repéré à http://search.proquest.com/openview/b1198c46643df43b6ccf0546dbf1db11/1?pq-origsite=gscholar&cbl=18750&diss=y
· Turkle, Sherry. (2011). Alone Together, New York: Basic Books, pp. 187-209.
· Van Dijck, J. (2013). The Culture of Connectivity: A Critical History of Social Media. Oxford University Press, n/a-n/a. doi:10.1093/acprof:oso/9780199970773.001.0001
· Waller, D. S. (2015). Photoshop and Deceptive Advertising: An Analysis of Blog Comments. Studies in Media and Communication, 3(1), 109‑116. Répéré à http://www.redfame.com/journal/index.php/smc/article/viewFile/841/788