En cette soirée électorale, Manon Massé aurait pu se trouver à deux endroits : avec son équipe, ce qui semblait particulièrement logique... ou bien, à l’événement organisé par nos collègues de communication politique, dans un bar de Mercier. Elle y aurait eu beaucoup plus de plaisir! En vérité, l’endroit comptait assez de solidaires pour y former un second rassemblement. Vers 8h30, ils affluaient en masse, à la conquête des régions, par-delà monts et montagnes, champs et campagnes, jusqu’à...Tiens, pourquoi pas jusqu’à Québec?
Ce voyage-ci a donc commencé sur le plateau. À mon arrivée, les pairs d’yeux se détachaient peu à peu de leurs pichets pour aller juger des premiers résultats. La CAQ grimpait en flèche depuis le début du dépouillement, à 20 heures; trente minutes plus tard, elle se rapprochait bien vite de cette majorité éclatante que personne n’avait prédit. Au moment où je m’asseyais, un lot de plaintes et de murmures se répandait aux quatres coins de la salle. Je tendis l’oreille, histoire d’être sûr : ces gens redoutaient l’arrivée d’un nuage bleu pâle. Bleu caquiste.
Vincent Marissal l’emporta dans Rosemont aux alentours de vingt heures quarante. Applaudissements et sifflements se jumelèrent pour le féliciter. On annonçait la victoire de Manon Massé l’instant suivant, ce qui éleva sans doute les « clap clap clap » proche des 102 décibels, soit l’équivalent d’un rave party d’après l’association de la JNA. Cependant, les plaintes de tout à l’heure se transformaient en huées, car, maintenant, à n’en plus douter, François Legault serait à la tête d’un gouvernement majoritaire. 57 circonscriptions, 58, 59...63!?...!...? « Non, non, non » répétait une étudiante, une main sur la tête, la deuxième sur sa bière. Mais voilà qu’alors, Catherine Dorion prenait les rennes de Taschereau. Comme plusieurs s’y attendaient, Québec solidaire venait tout juste de s’immiscer dans notre belle capitale. L’euphorie se répandit rapidement parmi les gens présents, et ce, pour un bon moment. Bref, cette soirée fut une véritable montagne russe, ponctuée de « oh » au sommet, et de « onh » au plus creux. Surtout, elle se révéla joyeuse.
Les étudiants rassemblés ce jour là assistaient à cette montée historique de Québec solidaire qu’avaient deviné maints analystes et analyses (entre autres, de nombreux sondages). Il faut dire qu’on ne les laissait pas sur leur faim; la victoire orangée se reflétait sur bon nombre de visages heureux : Ruba Ghazal, Gabriel Nadeau-Dubois, Sol Zanetti et Andrés Fontecilla étaient élus. D’autres avaient, ou allaient, encore grossir l’équipe, dont Christine Labrie dans Sherbrooke. Samuel Brassard, étudiant de médecine à l’UdeM, me fit savoir qu’elle était chargée de cours à l’Université de Sherbrooke. Les discours festifs des nouveaux employés de l’État commençaient à se succéder. Catherine Dorion s’avançait sur scène en tenue d’artiste, de jeune artiste surtout, vêtue d’une tuque et de son pyjama. Pour chacune de ses larmes, une nouvelle personne applaudissait. Le contraire pour la CAQ : une huée de plus à chaque mot de Legault.
Les grands perdants de ces élections furent accompagnés d’une belle vague respectueuse, qui m’assiégeait de toutes parts. En effet, je restai surpris lorsque, suite à la victoire attendue de Philippe Couillard dans Roberval, les gens se mirent à applaudir; tant surpris, à vrai dire, que je soupçonnai longtemps une genre d’ironie manquant d’aplomb. Cependant, un long silence d’accompagnement à son discours, suivi d’un appui unanime, me confirma le contraire. Un même effet suivit les mots d’espoir de Jean-François Lisée, alors qu’il préservait l’idée d’un Québec souverain dont il ne serait pas l’initiateur.
Opinions des étudiants
« La carte [électorale] du Québec aurait été magnifique si elle avait été plus foncée. C’est la déchéance d’une nation! », s’était exclamé Samuel Brassard, plus tôt, en riant. Voilà qui résume bien, et l’opinion, et l’atmosphère, qui dominaient le bar en cette soirée.
Hugo Laliberté et Étienne Paré, respectivement étudiants de biochimie et en enseignement au secondaire, me manifestaient leur surprise, teintée de déception, en assistant à cette montée fulgurante de la CAQ. Sans aucun doute satisfaits des progrès de Qs, ils m’affirmèrent tout de même que davantage d’étudiants auraient manifester leur soutien au parti, si le système de vote par anticipation n’avait pas fait défaut sur certains campus. Selon eux, c’est une journée de vote au grand complet qui fut ainsi perdue; on leur demandait de revenir voter plus tard, sauf que rien n’était encore réglé. Je les interrogeai sur une possible coalition PQ-Qs : les deux hommes plaignaient son précédent échec, sans pour autant miser tous leurs espoirs sur une réconciliation.
Marguerite Polin étudie en adaptation scolaire. Elle m’expliqua que le secteur de l’éducation est catégorique : « La maternelle 4 ans de François Legault n’est pas une bonne idée; l’argent devrait être dépensée ailleurs… Il y a bien d’autres priorités ». Elle croyait que la Coalition Avenir Québec serait élue minoritaire, cependant, elle se réjouit de la percée de Québec solidaire. Madame Polin considère les changements climatiques comme un « point de non-retour », nécessitant dès lors la mise en place de mesures drastiques. Elle ne croit pas que cela se concrétiserait au sein d’une éventuelle coalition des camps indépendantistes.
Pierre Augustin-Allard aurait préféré voir la CAQ minoritaire, et a qualifié ses résultats de surprenants. « La politique en immigration de la CAQ a été très populaire en région », m’a-t-il dit. Pierre gravitait principalement autour du Parti Québécois, mais en particulier près du projet d’indépendance. Il aimait bien Jean-François Lisée, et, suite à sa démission, il le remplacerait par Catherine Fournier; la plus jeune député de l’Assemblée nationale lui semble apte à rallier les nouvelles générations. Gabriel Nadeau-Dubois et Qs « pètent dans les nuages », d’après lui. Le salaire minimum à quinze dollars l’heure, l’imposition à douze paliers chez les investisseurs, le cadre financier dans son ensemble : tout cela n’a pas de sens à ses yeux. Non, monsieur Allard mise sur une prochaine coalition, sur une refonte des partis souverains, qui n’aurait pas vu le jour jusqu’à maintenant en raison de l'intransigeance de Gabriel Nadeau-Dubois. « Nadeau-Dubois a tout fait pour que l’entente n’est pas lieu; le plus possible, il s’y est opposé. Marissal, par exemple, se serait beaucoup mieux entendu avec Lisée. C’est bien dommage ».
Stéphanie (économie et politique) et Jasmine (sciences humaines) débattaient sur le réalisme du projet de Québec solidaire. Stéphanie maintenait qu’il ne tient pas la route, alors que Jasmine préférait y croire sur le long terme (moyennant une meilleure organisation). Les deux femmes aimeraient voir se réaliser cette fameuse coalition PQ-Qs, bien que, d’après Stéphanie, les deux formations soient marquées par un profond clivage de leurs programmes respectifs. La jeune étudiante considérait ainsi le Parti Québécois comme une meilleur option, puis m’expliquait sa défaite écrasante par une mauvaise campagne de Jean-François Lisée, arguant qu’il aurait dû s’attaquer à la CAQ plutôt qu’à Qs. « Non, Qs n’est pas communiste », me répondirent-ils en gloussant. Legault festoyait justement sur le petit écran où moment où je leur parlais. Pas le meilleur des dirigeants à leur avis, encore moins en immigration : « Il ne comprend pas les enjeux, il ne sait pas de quoi il parle. C’est comme un Trump 2.0… Son équipe le gère. François Legault; premier ministre : pensez à ça! ».
Pourquoi les jeunes ont-ils tourné le dos au PQ? Jules, un autre étudiant, m’a donné son avis : «Le néo-libéralisme du PQ n’attire pas les jeunes, qui aiment mieux choisir Québec solidaire. C’est la même chose avec la charte des valeurs, ça les éloigne aussi. Restreindre les signes religieux, la laïcité de l’État; ils n’aiment pas cela».
Manon Massé en images, Manon Massé en mots : Manon Massé partout. Oui, elle était bien là, quelque part dans le bar. Il est vrai que je parvenais presque à sentir son souffle sur ma nuque; bien vrai, aussi, que je n’ai pas pu trouver un seul caquiste ou libéral en trois heures de recherches intensives. Toutefois, contrairement à ce que l’on pourrait croire, et je pense que ces quelques témoignages le prouvent, l’intérêt politique que ces étudiants manifestaient allait plus loin qu’une simple partisanerie d’un soir autour d’un cocktail. Plusieurs n’étudiaient même pas en politique et cela paraissait qu’ils avaient suivi les élections. Ils militaient pour un changement de cap auréolé d’une dose de rajeunissement. Bref, la jeunesse a prouvé ce soir-là qu’elle s’intéresse à l’exercice démocratique de notre système, que le vote éclairé n’est pas un mythe chez les 18-34 ans. Merci, finalement, à l’AECEP, car, à n’en pas douter, ce genre d’événement contribue à rassembler les étudiants autour de cette sphère importante qu’est la politique, et sur laquelle ils peuvent alors échanger et s’informer dans une atmosphère agréable.
Écrit par Jérémie Bellefleur, Rédacteur en chef du COMMEDIA