En début d'année, j'ai vécu près de 6 mois de questionnements sur mon identité. La pandémie m'avait fait passer trop de temps avec moi-même, à tel point que je ne savais plus qui j'étais. Je suis passée par beaucoup d'émotions, allant de l'incompréhension au soulagement, en passant par une colère immense : pourquoi fallait-il que ça "tombe" sur moi ? Après maintes et maintes recherches sur le sujet, j'ai découvert un domaine complètement inconnu pour moi : le queer. Je trouvais enfin des mots à mettre sur ce que je ressentais. Et là je me suis demandé : "mais pourquoi on n'en parle pas à l'Université ?". Malgré plusieurs cours en cinéma, communication, philosophie, etc., le sujet n'est pas tant abordé, du moins pas par tou.te.s les étudiant.e.s. Pour en savoir un peu plus, j'ai posé quelques questions à Charline, une étudiante genderfluid, et à Joëlle, une personne queer et une professeure adjointe au département d'histoire de l'art et d'études cinématographiques de l'UdeM, qui s'intéresse notamment aux questions queer et de genre.
UN MANQUE DE RESSOURCES ÉVIDENT
D'après Joëlle, il serait important "d'avoir une équipe "spécialisée" au sein du service psychologique [de l'UdeM]". En effet, dans leur article, Marion Bernard et ses collègues expliquent que l'OMS a récemment déclaré "l'état d'urgence mondial concernant la prévention du suicide et identifie les personnes LGBT[+] comme un groupe particulièrement vulnérable". Un phénomène expliqué entre autres par les discriminations auxquelles fait face cette communauté. Il pourrait donc s'avérer judicieux de rendre l'Université safe pour les personnes queers, surtout lorsqu'on considère que leur foyer familial est bien souvent peu sécurisant.
Charline suggère d'augmenter la visibilité des ressources LGBT+ disponibles à l'UdeM. Pendant la pandémie, ses questionnements de genre se sont amplifiés, et malgré ses recherches, elle n'a trouvé aucun groupe de soutien actif, ni de témoignages d'étudiant.e.s vivant la même situation qu'elle à l'Université. Comment pouvons-nous imaginer vivre serein si l'on a l'impression que ce que nous vivons est un cas isolé ? D'après elle, les questionnements sont rendus plus difficiles lorsqu'on n'a "jamais entendu parler qu'il pouvait y avoir plus que les genres binaires [homme/femme]".
UN RÔLE À DÉFINIR ET À INCARNER
Mais alors, quel rôle l'Université devrait-elle jouer dans l'accompagnement des personnes queers ? Comment faire pour qu'elles se sentent soutenues et puissent s'exprimer pleinement ? Charline s'enthousiasme de la liberté qui est accordée à l'UdeM : "de souvenir, je n'ai jamais eu de souci particulier avec aucun.e.s profs". En revanche, elle regrette le manque de soutien, ce qui lui paraît surprenant "dans une université aussi importante". Avec son point de vue plus interne, Joëlle nuance en précisant que l'UdeM a été plutôt lente dans ses processus par rapport aux autres universités montréalaises, en reconnaissant tout de même qu'aujourd'hui, les étudiant.e.s ont la possibilité de modifier leur nom inscrit à leur dossier. Considérant l'Université comme "un lieu de recherche et de partage des connaissances", elle suggère d'encourager encore plus les projets de recherche sur ces questions et surtout, de permettre le partage de ces connaissances. Elle recommande également d'offrir des formations aux "personnes non LGBT+ qui en auraient besoin afin de décharger les personnes LGBT+ face à ce rapport pédagogique". En bref, elle pense qu'éduquer les personnes non queers retirerait la charge mentale des personnes queers, qui doivent (presque) toujours éduquer les autres. Elle suggère enfin que les étudiant.e.s et employé.e.s qui en ressentent le besoin se rencontrent. Chaque personne gère cela différemment et certain.e.s préféreront intégrer des communautés extérieures au cadre académique ou professionnel.
Pour Charline, il serait également souhaitable d'organiser des événements ou des séances de sensibilisation à la cause queer. "Je pense qu'il faudrait des ressources visibles. [...] Je pense que beaucoup de choses pourraient être faites, rien que pour mettre en contact les étudiant.e.s LGBT+ [...]", affirme-t-elle. Elle suggère aussi un programme de pair.e.s aidant.e.s queers, comme déjà mis en place dans le département de Communication mais sans la dimension LGBT+. Pourquoi ? Parce que sortir des normes fait peur et qu'il peut être dangereux pour une personne queer d'exprimer son identité. Or, lorsqu'on s'adresse à une personne déjà concernée et éduquée sur le sujet, la confiance est nettement plus grande.
"En tant que professeure ouvertement queer, je constate jouer un rôle de visibilité, de présence", m'explique Joëlle. Elle poursuit : "j'ai également un rôle pédagogique et d'accompagnement dans une réflexion intellectuelle". Lorsqu'elle est sollicitée, elle redirige les étudiant.e.s vers des services communautaires. Elle rappelle qu'il pourrait aussi y avoir ce genre de service au sein de l'UdeM, mais que ce n'est pas encore tout à fait là. Les professeur.e.s auraient-ils tou.te.s un rôle à jouer dans cet accompagnement ? Pas sûr que cela soit en tout cas souhaitable. "On constate une augmentation de la prise de conscience mais cette augmentation de "visibilité" entraîne également une résistance [comme dans la société de manière générale]", ajoute-t-elle. Difficile donc de réussir à créer un corps professoral 100% queer- friendly. Et si les professeur.e.s manifestent une opposition à aider les étudiant.e.s LGBT+, cela pourrait avoir des répercussions graves sur leur santé mentale. Mais alors, on ne fait rien ?
POURQUOI L'UNIVERSITÉ A-T-ELLE UN RÔLE À JOUER ?
Comme l'expliquent Farinaz Fassa et ses collègues, "l'école n'est pas neutre". Et selon Véronique Rouyer et ses collègues, elle reproduirait même "les inégalités présentes dans la société", incluant celles par rapport au genre. Un avis partagé par Joëlle, qui me dit que "les universités sont aux prises avec les mêmes problématiques d'exclusions, d'homophobie et de transphobie que les milieux sociaux". L'article a également démontré que les manuels scolaires jouent un rôle dans la perpétuation des modèles cishétéronormatifs. Étant donné qu'une bonne partie de notre éducation se fait en dehors de la maison, il serait bon de la soigner en révisant les ressources actuelles et en les adaptant à la réalité d'aujourd'hui : la norme binaire (homme/femme) ne convient plus.
Ophélie Barbotte.
Sources:
Bernard, M., Wathelet, M., Pilo, J., Leroy, C. & Medjkane, F. (2019). Identité de genre et psychiatrie. Adolescence, 371, 111-123. https://doi.org/10.3917/ado.103.0111
Fassa, F., Fueger, H., Lamamra, N., Chaponnière, M. & Ollagnier, E. (2010). Éducation et formation : enjeux de genre. Nouvelles Questions Féministes, 29, 4- 16. https://doi.org/10.3917/nqf.292.0004
Markus Spiske · Photographie. (s. d.). Consulté 4 décembre 2021, à l’adresse https://www.pexels.com/fr-fr/@markusspiske
Touyer, V., Mieyaa, Y., & Blanc, A. le. (2014). Socialisation de genre et construction des identités sexuées. Revue française de pédagogie. Recherches en éducation, 187, 97‑137. https://doi.org/10.4000/rfp.4494