Au Québec, la vague d’achat local, priorisant une consommation plus consciencieuse, est bel et bien amorcée. Le mouvement, engendré entre autres par la pandémie de COVID-19 (2020 à 2022), est présent et observable dans plusieurs secteurs d’activités, surtout ceux de la mode et des cosmétiques. Le secteur agroalimentaire a également été grandement touché par cette prise de conscience qui a mené la population à vouloir se procurer des produits locaux au profit des grandes chaînes américaines. Durant la période estivale, les abonnements pour des paniers de fruits et légumes de saison offerts notamment par Bio Locaux, Le Jardin des Anges et Les Fermes Lufa, font fureur.
Quand est-il durant l’hiver ?
En effet, ce désir de consommer des aliments locaux se heurte aux conditions climatiques du Québec qui ne permettent pas d’avoir un rendement constant de produits agricoles (fruit, légumes, céréales, grains, légumineuses, etc.) tout au long de l’année. Le gouvernement Legault a exprimé sa volonté de faire accroître l’autonomie alimentaire du Québec de 10% dans les prochaines années (Cameron, 2021), sous-entendant la nécessité d’augmenter la taille des serres et de se lancer dans une production agricole hivernale afin d’atteindre cet objectif. Oui, oui … des légumes dans le sol en hiver ! Le gouvernement s’engage donc à fournir une aide financière aux producteurs qui désireraient participer à ce projet baptisé « Grands tunnels » (Cameron, 2021). Plusieurs agriculteurs ont même déjà entamé le processus, mais la tâche s’avère de haute envergure.
Comment fonctionne la production agroalimentaire en hiver ?
Développée par Eliot Coleman dans un ouvrage publié en 2009, l’agriculture hivernale est un terrain encore peu exploré, mais qui tend à émerger dans un contexte d’autonomie alimentaire. Effectivement, les agriculteurs d’ici font face à un contexte de production peu commun mondialement, d'où le manque de ressources et de documentation sur le sujet. Chercheuse au Centre d’expertise et de transfert en agriculture biologique et de proximité (CETAB+), Charlotte Giard-Laliberté a entrepris d’offrir des réponses concrètes aux agriculteurs (Cameron, 2021). Son projet de recherche, financé par la MAPAQ, se concentre à fournir des données précises sur les productions, comme la température des serres, le temps de pousse, le rendement, les coûts en énergie et en matériaux, etc., afin de leur permettre d’établir un plan d’action adéquat (Cameron, 2021).
Ainsi, l’agriculture hivernale se déroule généralement en serre, mais également au grand air dans certains cas. Pour la production en serre, celles-ci sont chauffées seulement entre 2 et 5 degrés Celsius pour éviter le gel du sol, mais également pour éviter la surconsommation d’énergie (Cameron, 2021). Pour les parcelles de terre qui ne sont pas couvertes en hiver, la neige s’avère être un allier de taille pour protéger la terre du gel et assurer la survie de certains plans, comme le plant de bleuet ou la vigne par exemple (Landry, 2023). En effet, le gel est l’un des plus gros défis pour la production agricole hivernale puisqu’il peut être dévastateur pour les racines, les tiges et les bourgeons; éléments précieux et très fragiles qui assurent la viabilité de la production (Landry, 2023). Comme l'ont expérimenté les fermes Le Jardin des Funambules et Coq à l’Âne du Bury, situé en Estrie, la demande pour leur service de panier d’hiver est impressionnante (Cameron, 2021). Tous deux embarqués dans le projet de serres froides, ils peinent à fournir à la demande.
Beaucoup de questions, peu de réponses
Malgré l'engouement envers cette nouvelle pratique et les recherches entreprises, notamment par Charlotte Giard-Laliberté, beaucoup de questions restent sans réponse. Certains agriculteurs décident de répondre à leurs propres interrogations en embarquant à pieds joints dans le projet, mais plusieurs sont encore frileux à l’idée. Effectivement, il reste plusieurs enjeux importants à éclaircir concernant, entre autres, l’empreinte GES (Gaz à effet de serre) que laisserait une nouvelle pratique agricole étendue à la grandeur du Québec, la manière de fertiliser les sols et de conserver ses nutriments même en période froide, ainsi que la régénération des sols qui sera bouleversée par une saison de récolte de plus par année (Gamache, 2014). L’effet des phénomènes biologiques du sol en hiver, qui subit une diminution globale de ses activités métaboliques, n’est pas à négliger quant à leurs impacts nutritifs sur le produit qui sortira de terre lors de la récolte (Gamache, 2014). Les agriculteurs se questionnent également à savoir si le coût en énergies et en installation vaudra le rendement offert par une production hivernale plus lente en raison, notamment, du manque de lumière (Cameron, 2021).
En bref, l’agriculture à certainement un impact environnemental à ne pas sous-estimer, c’est pourquoi il est impératif pour les agriculteurs de trouver des manières de faire qui sont écologiques et qui permettront d’augmenter la production québécoise tout en protégeant l’environnement. La suite de ce magnifique projet reste à suivre !
Jaymie Vézina
Bibliographie
Cameron, D. (2021, 31 janvier). Des légumes qui poussent dans la terre… en janvier. La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/2021-01-31/agriculture-hivernale/des-legumes-qui-poussent-dans-la-terre-en-janvier.php
Gamache, M.-M. (2014). Fonctionnement biologique des sols agricoles en période hivernale et gestion de l’azote en climat nordique [mémoire de maîtrise, Université de Sherbrooke]. https://savoirs.usherbrooke.ca/bitstream/handle/11143/7202/cufe_Gamache_Marie-Michelle_essai452.pdf?sequence=1
Landry, V. (2023, 14 janvier). En agriculture, la neige comme allié contre le froid. Le Devoir.