Depuis quelques semaines, l'affaire SNC-Lavalin est au bout de toutes les lèvres. Les médias canadiens, québécois et même internationaux en parlent incessamment. Pourquoi on en parle autant? Pour répondre à cette question, il est important de comprendre l’affaire et les différentes perspectives qu’elle amène.
C’est quoi l’affaire SNC-Lavalin? Et pourquoi c’est important de la comprendre?
L’affaire SNC-Lavalin est un scandale de corruption entre la firme d’ingénierie montréalaise SNC-Lavalin et le Parti libéral du Canada (PLC). Certains membres du cabinet des ministres, dont le Premier ministre Justin Trudeau, auraient tenté de secourir SNC d'une poursuite judiciaire en faisant pression sur la ministre de la Justice, Jody Wilson Raybould. Ceci va contre la règle de droit, la Rule of Law, qui stipule que le politique doit être séparé de la justice. C’est un des piliers de la démocratie. Autrement, on se trouve dans un pays où le parti au pouvoir pourrait potentiellement emprisonner, libérer ou juger qui il veut. Cela va contre la démocratie.
Tout a commencé le 7 février 2019. Lorsque le journal canadien-anglais Globe and Mail a publié un article sur le constant lobbying de SNC auprès du Parti libéral. SNC a toujours été rouge. Ils auraient approché pas moins de 19 fois le bureau du premier ministre depuis 2017. Un véritable record en termes de lobbying.
Vous vous demandez probablement pourquoi il y a autant de pression de la part de SNC. Eh bien, la compagnie a reçu une poursuite pour corruption en 2017 de la part du Service des poursuites pénales du Canada et de la Gendarmerie royale du Canada. Parmi les accusations qu'on lui porte, il y en a une qui est digne de mention. Celle d’avoir payé des prostitués au fils du dictateur Mouammar Kadhafi afin d’obtenir des contrats en Libye.
L'argument de SNC pour se défendre, c’est qu’ils ont plus de 9000 emplois au Canada. Si SNC perd le procès, la compagnie ne pourra plus faire affaire au Canada pour une période de 10 ans. De ce fait, cela pourrait faire baisser ses ententes avec d'autres pays, car qui veut faire affaire avec une compagnie canadienne qui ne peut même pas y faire affaire? Ce procès, selon SNC, entraînerait donc une baisse de contrats et conséquemment ferait perdre ces postes.
La réponse de la ministre Raybould était de ne pas empêcher la poursuite. Elle n'a pas voulu tenir compte des postes en jeu. Parce qu’en justice il y a une règle qui stipule qu’il ne faut pas prendre en compte l’aspect économique d’une affaire judiciaire.
Mais Trudeau n’aurait pas été en accord avec l’opinion de Raybould. Il aurait tenté de convaincre Raybould que 9000 emplois, dont 2000 au Québec, il faut protéger ça. D'autant plus que le Parti libéral dépend du Québec pour être réélu cette année. Pour ce faire, il aurait utilisé une nouvelle loi mise en place par son gouvernement en 2018 : les accords de poursuite suspendue. Une nouvelle clause du Code criminel qui, comme son nom l’indique, permet de suspendre une poursuite envers une organisation sous certaines conditions.
Un autre membre du cabinet qui aurait tenté de la convaincre est le secrétaire principal de Trudeau, Gerald Butts. Il est reconnu comme étant un de ses meilleurs amis.
Au total, 11 membres du cabinet Trudeau auraient tenté d'influencer Jody Wilson-Raybould selon son témoignage.
Trudeau et Gerald Butts, en littérature à l'Université McGill. Les deux hommes se connaissent depuis leur baccalauréat.
Raybould n’a malheureusement, ou heureusement, selon votre point de vue, pas changé d’opinion. Conséquemment, lors du remaniement ministériel, on lui a donné un ministère considéré comme moins prestigieux : le ministère des Affaires aux vétérans. Elle a publié entre temps un drôle de communiqué que personne ne comprenait à l’époque. C'était en réponse au fait qu'elle n'ait plus le ministère de la Justice. Elle y soulignait l’importance de la règle de droit pour préserver la démocratie.
Après l’article du Globe, Justin Trudeau a affirmé que si Raybould s’était senti réellement menacé par rapport à l’affaire SNC elle aurait démissionné. Chose qu'elle a faite dès le lendemain. Par la suite, Butts a lui aussi démissionné.
Depuis, Jody Wilson Raybould et Gerald Butts ont pu donner tour à tour leur version des faits devant le Parlement. Jody Wilson disait qu’elle a senti la pression comme étant une action « déplacée » de la part de son parti, mais pas « illégale ». Butts, quant à lui, a nié les pressions. Selon lui, s’il y en a eu, c’était inconsciemment. De plus, Raybould ne les aurait jamais averti de ce sentiment.
Est-ce que cela aura des conséquences sur les élections fédérales de cette année? Seul le temps le dira. Mais présentement, le Parti conservateur du Canada devance le Parti libéral. Au Québec, selon le plus récent sondage Léger, le PLC reste premier avec 35% des intentions de vote.
Quelles sont les différentes perspectives de l’affaire?
* quand je parle de perspective, je parle d’opinions que l’on retrouve majoritairement ou seulement dans ces endroits. Je ne prétends nullement que tout le monde appartenant à telle ou telle catégorie partage cette opinion.
Perspective québécoise
Selon le plus récent sondage Léger, 59% des Québécois veulent que SNC n’ait pas de procès et puisse bénéficier des accords de poursuite suspendue. Parce que la compagnie est un fleuron québécois qui existe depuis 1911. Il emploie plus de 50 000 personnes, dont 2000 Québécois. Selon ce point de vue, on ne peut pas laisser la compagnie mourir. À la limite, elle pourrait être nationalisée, c’est une idée que lance le NPD dans l’espoir de recréer la vague orange.
Perspective autochtone
Jody Wilson Raybould est une autochtone provenant de la nation Kwak’wala de la Colombie-Britannique. Elle est un véritable symbole pour beaucoup de Premières Nations. Elle représentait l'engagement de « Vérité et réconciliation » promis par Justin Trudeau aux Premières Nations lors des élections de 2015.
Son remaniement dans le cabinet à un poste moins prestigieux, les pressions faites à son égard et sa rétrogradation ont été vus comme une trahison.
Perspective féministe
Une autre promesse de Justin Trudeau, lors des élections de 2015, était la parité de son cabinet des ministres. « Parce qu’on est en 2015 » disait-il.
Sauf qu’il a perdu un autre poids lourd féminin de son cabinet : la présidente du Conseil du Trésor du Canada, Jane Philpott. Celle-ci a démissionné lorsque son parti était en plein dans la tourmente de SNC. Selon sa lettre de démission, elle a quitté car un ministre « doit toujours être prêt à défendre les autres ministres publiquement » et soutenir « le gouvernement et ses politiques ». Chose qu'elle n'était plus capable de garantir.
Cet événement a fait remettre en question le supposé féminisme de Trudeau par certaines critiques.
Perspective du Canada-Anglais
Pour les Canadiens anglais, SNC symbolise encore le fait que le Québec passe avant les autres provinces auprès du PLC ; une critique que l'on retrouve depuis le projet souverainiste québécois.
Ils ont perdu la confiance en Trudeau, d’où le fait qu’Andrew Scheer du Parti conservateur dépasse le Parti libéral.
Perspective juridique
La cour fédérale du Canada a publié un jugement sur le fait que SNC ne pourra pas avoir recours aux accords de poursuite suspendue. Son procès aura donc lieu.
Écrit par Anaïs Pijet Villeneuve, rédactrice au ComMédia
Pour aller plus loin + Sources
Article du Globe and Mail qui a tout commencé : https://www.theglobeandmail.com/politics/article-pmo-pressed-justice-minister-to-abandon-prosecution-of-snc-lavalin/
SNC Lavalin : https://www.cbc.ca/news/business/a-brief-history-of-snc-lavalin-1.1154986
L’affaire SNC Lavalin: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1154560/affaire-scandale-snc-lavalin-trudeau-raybould-butts
https://www.macleans.ca/politics/ottawa/what-does-it-take-to-get-a-deferred-prosecution-agreement/
Fils de Kadhafi : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/738679/pots-de-vin-snc-lavalin-libye-kadhafi-riadh-ben-aissa-defense
Accord de poursuite suspendue : https://www.tpsgc-pwgsc.gc.ca/ci-if/ar-cw/aps-dpa-fra.html
Admission de Trudeau : https://www.thestar.com/politics/federal/2019/03/07/live-at-745-am-prime-minister-justin-trudeau-to-give-statement-on-snc-lavalin-scandal.html?li_source=LI&li_medium=star_web_ymbii
Le remaniement ministériel : https://www.cbc.ca/news/politics/liberal-cabinet-shuffle-2019-1.4976936
Gerald Butts : https://ottawacitizen.com/news/national/full-statement-gerald-butts-resignation-letter
https://newsinteractives.cbc.ca/elections/poll-tracker/canada/
Perspective québécoise
https://lactualite.com/politique/2019/02/28/la-ligne-de-faille-absolue-dans-laffaire-snc-lavalin/
https://www.tvanouvelles.ca/2019/03/14/les-quebecois-veulent-sauver-snc-lavalin
Perspective autochtone
Perspective féministe
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1156465/ministre-jane-philpott-demission-conseil-tresor
https://www.cbc.ca/news/politics/trudeau-women-cabinet-philpott-wilson-raybould-1.5048292
Perspective du Canada-Anglais
https://ipolitics.ca/2019/02/08/snc-lavalin-affair-its-all-about-quebec/
https://newsinteractives.cbc.ca/elections/poll-tracker/canada/
Perspective juridique
https://www.canlii.org/en/ca/fct/doc/2019/2019fc282/2019fc282.html
Images
Logo SNC-Lavalin
https://en.wikipedia.org/wiki/SNC-Lavalin
Jody Wilson Raybould et Justin Trudeau
https://www.bbc.com/news/world-us-canada-47232348
Gerald Butts et Justin Trudeau
https://ottawacitizen.com/opinion/editorials/editorial-gerald-butts-bows-out-over-snc-lavalin-affair
Gerald Butts Aujourd’hui