Radio-Canada l’annonçait il y a tout juste une semaine : jusqu’à 40% des enseignants de la Commission scolaire de Laval (CSDL) n’ont pas de suppléant. Alors qu’il se situait d’abord au centre du renouveau promis par la Coalition Avenir Québec ( CAQ ), le secteur de l’éducation pourrait très bien finir par trahir les intérêts du parti.
Le directeur de l’école primaire Saint-Norbert, à Laval, Frédéric Girard, rapportait ces propos, lundi dernier : « Toutes les semaines, c’est quand même fréquent. C'est préoccupant quand on arrive le matin. Il manque deux, trois ou quatre personnes. Hier, il manquait deux enseignantes dans leur classe ». À la CSDL, ce sont 1635 cas d’enseignants sans remplaçants qui sont survenus durant l’année scolaire actuelle. Le seuil minimal précédent de 30 crédits a même été abaissé à 15, afin d’attirer davantage de suppléants. L’enjeu, c’est que le problème ne concerne pas que Laval : l’ensemble des écoles primaires du Québec manque de main-d’œuvre. Peu de gens s’orientent vers ce domaine à l’université et une personne sur quatre quitte le métier durant les sept premières années en poste. Les enseignants actuels sont surchargés de travail (en remplaçant eux-mêmes leurs collègues), et cette situation les pousse justement à éviter à leur tour toute absence que ce soit, même justifiée.
C’est pourtant dans ces écoles primaires que François Legault veut instaurer la maternelle quatre ans, sur l’ensemble du territoire québécois. Durant la dernière campagne électorale, il en faisait l’une de ses promesses phares, jusqu’à dire qu’il démissionnerait advenant qu’elle ne soit pas respectée. Il n’y a pas plus tard qu’un mois, divers organisations et partis politiques de l’Assemblée nationale exhortaient le gouvernement à se rétracter. Selon le Conseil québécois des services éducatifs de la petite enfance (CQSEPE) et la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ), les services de garde éducatifs remplissent déjà tous les besoins des enfants de quatre ans. François Legault a comme objectif de repérer les troubles d’apprentissages le plus tôt possible. Mais pour Francine Lessard, directrice du CQSEPE, les services de garde éducatifs répondent à cette même mission, ce qui fait paraître la maternelle quatre ans inutile : « On fait du dépistage précoce une réalité quotidienne dans les services éducatifs. Il y a de l'observation qui est faite tous les jours, il y a des contacts avec les parents tous les jours ». Les partis d'opposition dénoncent essentiellement un projet qui n’est pas faisable, d’après eux, et qui manque de réalisme… Ils assurent le gouvernement qu’ils ne l’attaqueraient pas pour avoir renoncé à cette promesse.
Ce que ce regroupement d’organisations et de partis visait n’était pas tant de voir le gouvernement tout laisser tomber, que d’encourager une plus grande ouverture aux débats et aux consultations avec les travailleurs du secteur. Jusqu’à maintenant, Legault est resté cambré sur sa position.
Le ministère de l’Éducation au Québec est loin d’être une mince affaire. L’unanimité y est rare, beaucoup de désaccords s’y succèdent ou surviennent en même temps. Depuis 1960, en plein cœur de la Révolution tranquille, les mouvements étudiants québécois se sont fait entendre. Leurs revendications ont surtout attrait à l’accès à l’éducation, aux droits de scolarité, au régime des prêts et bourses et à la gratuité scolaire. Des mouvements importants ont eu lieu en 1968, 1974, 1978, 1986, 1988, 1990, 1996 et en 2005. En 2008, une rumeur persistait déjà depuis quelques années, soit que la réforme grammaticale qu'apprenaient les enfants à l’école facilitait trop l’apprentissage de la langue, que l’éducation québécoise du système public était de moindre qualité. Bon nombre de parents optaient ainsi pour le réseau privé lorsque leurs enfants commençaient le secondaire. En 2012, la grève étudiante a bien sûr marqué les esprits. Le mouvement a finalement atteint son objectif en bloquant la hausse des faits de scolarités à la hauteur de 1465 $, en date de l’année 2017. Quoi qu’il en soit, cette grève a aussi pris les formes d’une critique acerbe du gouvernement Charest, et a été un enjeu électoral important de 2012 au provincial. Pauline Marois, qui a remporté ces élections, a participé aux manifestations étudiantes (une image d’elle, en train de frapper des casseroles, est vite devenue populaire). Elle-même, et plusieurs personnalités québécoises ont même arboré le fameux carré rouge en gage de soutien aux étudiants. En 2017, 2018 et 2019, les grèves pour la rémunération des stages ont été fréquentes, avec des milliers d’étudiants. En 2019, il est également question de cette « crise » en éducation : taux de décrochage scolaire élevé, analphabétisme, écoles en miettes, des enseignants à bout, la rétention difficile des nouvelles recrues dans la profession…
Bref, à bien des égards, le système d’éducation québécois semble parfois aussi mal en point que le système de santé. C’est du moins l’impression laissée, et par les médias, et par les acteurs et manifestants du milieu de l’éducation. François Legault a été ministre de l’Éducation et de la Jeunesse sous le gouvernement de Lucien Bouchard. Il présente sans cesse la Coalition Avenir Québec telle que le parti du renouveau. En ce sens, il a sans doute été judicieux de sa part de présenter son parti comme le remède aux difficultés en éducation, en plus d’en faire le terrain de ses engagements prioritaires. Bernard Landry l’a également nommé ministre de la Santé à l’époque, et la CAQ accorde évidemment une bonne partie de son attention à contrer les déboires du système de santé. Le nouveau gouvernement, en s’attaquant aux enjeux cruciaux de l’éducation, peut cependant parvenir à se démarquer. Du même coup, il prend ses distances du gouffre sans fin que représente le milieu de la santé, ainsi que du précédent gouvernement libéral (pointé du doigt comme le « gouvernement des docteurs »). Par exemple, Legault, en campagne électorale, voulait geler les hausses de rémunération des médecins spécialistes qu’avaient prévues les libéraux au pouvoir. Une façon efficace de se faire valoir en tant que nouvelle solution.
Fatima Houda-Pepin a écrit dans sa chronique d’il y a trois jours, intitulée « L’éducation comme priorité nationale », que monsieur Legault semble sincère dans sa volonté de réformer le milieu de l’éducation québécoise. Elle a mis en cause le « malaise » du premier ministre face à des questions comme le décrochage scolaire. D’autres iraient prétendre que cet intérêt du chef caquiste n’est rien d’autre qu’une façade. C’est que dans les premiers mois suivants sa victoire, sa formation a semblé se concentrer sur trois autres enjeux. Il y a eu le débat sur le port des signes religieux par les employés de l’État en position d’autorité, le troisième lien entre Québec et Lévis, ainsi que l’interdiction de consommer du cannabis pour les jeunes en bas de 21 ans. Car, dans les faits, la CAQ doit faire ses preuves à plusieurs niveaux si elle espère retaper le système de l’éducation. Ludvic Moquin-Beaudry, chroniqueur à plusieurs médias, dont le ricochet, et enseignant au collégial, en liste un certain nombre. Pour commencer, le gouvernement devra développer des incitatifs intéressants s’il veut contrer le taux alarmant d’abandon du métier par les jeunes enseignants. Ensuite, même si le projet de la maternelle quatre ans se concrétise bel et bien, davantage de professionnels devront être engagés pour traiter les enfants diagnostiqués avec un trouble de l’apprentissage. Aussi, beaucoup d’établissements scolaires doivent être entretenus, au niveau de la structure et pour la qualité de l’air. Enfin, plus d’écoles devront être construites, et avec plus de matériel, parce que les établissements du secondaire recevront à peu près 60 000 élèves supplémentaires au cours des années à venir.
Le budget de 2019 a récemment été détaillé, mais les doutes persistent quant aux intentions du gouvernement et à ce qu’il pourra réaliser en éducation. Ce dernier secteur fait partie des priorités du nouveau budget provincial ; c’est toutefois l’économie qui en ressort la grande gagnante. L’éducation et la santé paraissent dans l’ensemble satisfaites des moyens prévus par la CAQ, bien qu’elles auraient souhaité certaines sommes supplémentaires. En éducation, l’argent réservé aux infrastructures, au matériel, aux classes spécialisées et aux sorties parascolaires pourrait peut-être bien changer la donne. L’équivalent de 600 nouveaux professionnels est également prévu… Legault apparaîtrait en héros. En harmonie avec l’onglet « priorités » du site web du gouvernement, intitulé l’ « Audace d’agir : l’éducation, l’économie et la santé ». L’ordre tient assez bien la route pour l’instant, il devra faire attention à ne pas s’en éloigner.
Même si le budget provincial de 2019 semble assez bien reçu dans l’ensemble, et qu’il fournit une bonne partie des ressources demandées en éducation, il reste un revers à la médaille. En gros, François Legault a les ressources et la position pour en effet se démarquer et soigner l’éducation au Québec. Maintenant… Le plus difficile est à faire. Comme ce fut mentionné plus tôt, les défis semblent nombreux. En ce qui concerne l’historique du milieu : rien de bien encourageant. Quoi qu’il en advienne, les dés sont définitivement lancés. Malgré les doutes persistants, et qui pourraient lui nuire à plus ou moins long terme si les représentants de l’éducation s’impatientent, le gouvernement a en quelque sorte officialisé sa volonté de ressusciter le système éducatif en lui réservant une belle tranche de son budget. Il y a tant de choses à corriger en éducation qu’il serait sans doute impossible de tout réaliser en un seul mandat, et encore moins évident de satisfaire tout le monde. Cela n'apaisera pas la gronde « éducationnelle » pour autant, déjà sous tension depuis les importantes coupures du précédent gouvernement Couillard.
Suivant cette logique, l’essentiel pour Legault est de prioriser les besoins les plus criants, ceux-là mêmes qui pourraient de toute façon lui valoir plus de votes aux prochaines élections. Qu’arrivera-t-il, alors, si le premier ministre injecte la majeure portion de l’argent destinée aux infrastructures dans la mise en place du programme de maternelle 4 ans? Il est quand même question d’un montant de 20,3 milliards de dollars sur dix ans… Et surtout d’une promesse électorale réfutée par bien des gens, en particulier par ceux qui devront l’appliquer de manière concrète. Enfin, il est évident que plus le montant d’argent est élevé, plus le gouvernement risque gros face à l’opinion publique s’il fait un mauvais pas… En ce cas un pas de trop.
Le danger ici est de tomber dans une gestion similaire à celle du réseau de santé, et de finir par tout embourber : de créer un gouffre monétaire très gourmand en argent, mais qui n’apporte aucune amélioration significative. La taxe scolaire uniforme devrait coûter au gouvernement 700 millions de dollars par année selon l’Institut de recherche Iris. Aussi, plus de classes de maternelle 4 ans (5000 classes en cinq ans) seront construites, avec davantage d’enseignants recrutés, et plus les besoins en argent augmenteront. Si d’autres secteurs de l’éducation manquent déjà d’argent alors que ces classes sont construites… Où iront les fonds à l’avenir? Peut-être ne seront-ils jamais suffisants.
François Legault doit à tout prix éviter une telle situation. À défaut d’abandonner son projet de maternelle 4 ans, il a intérêt à avoir un excellent ministre de l’éducation sous la main. Jean-François Roberge devra faire ses preuves, lui qui, avant son élection, désignait le cynisme comme le grand ennemi de la CAQ. Du cynisme, il y en a pourtant beaucoup chez les populations étudiante et enseignante. D’une part le collectif La planète s’invite à l’Université a critiqué les mesures en environnement du budget 2019, comme le soutien au troisième lien ainsi que l’aide au réseau routier en général. D’autre part, Legault souhaite imposer aux enseignants de retirer les signes religieux qu’ils portent, sans pourtant voit l’intérêt de décrocher les crucifix accrochés sur les murs de certaines classes. D’aucuns dénoncent une laïcité à double sens. Finalement, les cours d’éducation sexuelle que veut imposer le gouvernement ne font pas l’affaire de tout le monde. Peu d’enseignants s’affichent volontaires, aussi l'échéancier semble très serré quant à l’implantation de ces cours cet hiver. Des parents portent plainte et invoquent les chartes au nom de la religion.
En résumé, ce qu’il manque à François Legault pour faire de ses projets une réussite, c’est d’obtenir un peu plus de consensus, c’est d’aller écouter les acteurs qui y sont directement impliqués. L’intention semble être là, mais pas la patience. Cela ne sert à rien d’opérer toutes sortes de changements si la majorité s’y oppose. Comme plusieurs l’ont remarqué, la CAQ en fait peut-être trop, et trop rapidement.
Écrit par Jérémie Bellefleur, rédacteur en chef du ComMédia
Bibliographie
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www.journaldequebec.com/2018/12/10/education-sexuelle-des-parents-agressifs-veulent-lexemption