La vie est une boucle. On apprend à vivre d’une certaine manière et chaque choix, chaque pas que nous faisons nous rapporte toujours vers la même direction. Lorsqu’on enlève leurs repères aux hommes, ceux-ci sont complètement perdus et perdent une part de ce qu’ils sont, ne savent plus comment se comporter. La pandémie est une très bonne illustration de cette affirmation et c’est ce que nous démontre l’histoire de Marlène Gibaud.
Marlène est secrétaire. Elle a 59 ans et habite à Saint Cyr L’école. Elle est divorcée et n’a aucun enfant. Tous les matins, Marlène se lève à sept heures, boit son café noir avec un demi-sucre et monte dans sa voiture à huit heures pile. Elle allume la radio et se met à fredonner sa chanson préférée, « I started a joke « des Bee Gees. Son trajet dure quinze minutes et la conduit jusqu’au parking de la maison de repos Saint Julien.
La maison de repos, elle la connaît bien. Elle en connaît tous les employés, les habitudes et tous les petits recoins. Effectivement, cela fait près de six ans que Marlène vient rendre visite à sa mère tous les jours. Chaque jour, chaque week-end, de 8h15 à 9h, Marlène est présente pour sa mère Ginette, âgée de 95 ans. Les deux femmes ont une relation très fusionnelle : Ginette a élevé Marlène toute seule et l’a accompagnée tout au long de sa vie. Marlène ne peut donc pas s’empêcher de lui rendre la pareille depuis son installation en maison de repos.
Cependant, avec l’arrivée de la pandémie, les habitudes de Marlène ont toutes été modifiées. Cette femme qui dévouait tout son temps à sa mère et à son bien-être se retrouve désormais enfermée chez elle, et n’a maintenant aucune possibilité de lui rendre visite.
Lassée de ce qu’elle considère comme un emprisonnement, Marlène décide un jour de se rendre à la maison de repos, et ce sans aucune autorisation préalable. La chambre de sa mère se trouvant au rez-de-chaussée, Marlène fait discrètement le tour du bâtiment et tapote à la vitre de façon discrète et rapide. Les rideaux s’ouvrent, dévoilant le sourire de Ginette, très heureuse de retrouver sa fille adorée. Malheureusement, la pandémie et la fragilité de Ginette les empêchent de se rapprocher.
Marlène, masquée, ne supporte finalement pas cette situation, se sent très vite oppressée. Elle a beaucoup de chagrin à voir sa mère enfermée ainsi et de ne pas pouvoir la soutenir comme à l’ordinaire.
Au lieu d’apporter du réconfort à Marlène, cette visite clandestine et imprévue est finalement un désastre. Le fait de devoir échanger avec sa mère à travers une fenêtre sans pouvoir lui parler ou la tenir dans ses bras est une expérience traumatisante. Même si elle attend avec impatience que soit redonnée l’autorisation de visite dans les maisons de retraite, Marlène se demande si elle sera capable d’y aller aussi fréquemment qu’auparavant et de retrouver la joie qui l’accompagnait à chaque visite.
L’expérience pandémique l’a profondément angoissée, et a indirectement impacté sa relation avec sa mère.
Elle qui était pétrie d’habitude et rassurée par son petit train-train, elle est surprise qu’un événement comme celui-ci puisse engendrer une telle réaction chez elle. Elle ne se reconnaît plus.
Anja Conton