Avez-vous déjà regardé La chronique des Bridgerton ? La série sortie le 25 décembre 2020 a été un très beau cadeau de Noël pour près de « 82 millions de foyers abonnés à la plateforme Netflix » (Radio-Canada, 2021). Se déroulant en 1813, la première saison de la série suit le personnage de Daphne Bridgerton, fille ainée du défunt vi-compte de Londres, lors de la saison mondaine. Saison durant laquelle les jeunes adultes de la haute société doivent trouver leur future femme ou futur mari. Daphne est désignée, au tout début de l’épisode un, comme le diamant de la saison par la reine d’Angleterre. Entre drames et amour, les spectateurs suivent l’histoire des différents personnages lors de cette saison mondaine. À première vue, cette série n’aborde pas de sujets problématiques ou controversés, mais c’’est pourtant une vague déferlante de critiques et de haine qui a ravagé les réseaux sociaux après sa sortie, la cause étant l’origine ethnique de certains acteurs.
En effet, nous pouvons retrouver dans la haute société de Londres du XIXe siècle un grand nombre de personnes racisées et issues de minorités. La critique se fonde donc sur le manque de réalisme de la série.
© La Chronique des Bridgerton / Netflix)
Il n’est pas difficile de comprendre que la distribution de La chronique des Bridgerton n’a malheureusement rien à voir avec la réalité de l’époque. Des tweets tels que « la diversité dans les drames d’époque ne fonctionne pas » ont fait beaucoup de bruit dans le monde des médias. L’emploi du terme « fonctionner » est quelque peu perturbant ici, car il est difficile de comprendre en quoi la présence d’acteurs issus de minorités entrave la trame de l’histoire. Est-il acceptable de comparer l’importance de la couleur de peaux des personnages présents dans cette série avec ceux présents dans un film comme Twelve years a slave (Steve McQueen), où la couleur de peau des acteurs et actrices est directement liée au rôle qui leur est accordé? Dans ce type de films, la couleur de peau joue un rôle majeur dans l’histoire puisque c’est bel et bien la pièce maîtresse de l’histoire. Cependant, dans le cas de la série La chronique des Bridgerton, la couleur de peau et l’histoire en général ne font pas partie de la trame narrative. Les cinéastes ont plutôt décidé d’utiliser les éléments de l’époque qui leur importait pour l’histoire, comme l’esthétique, l’importance de la hiérarchie, etc. Toutefois, c’est leur droit de ne pas prendre en compte d’autres aspects de la réalité de l’époque.
De plus, cela donne en fait des opportunités de travail aux acteurs issus de minorités. L’acteur Omar SY nous dit qu’il « n’y a pas assez de diversité sur la scène artistique » (Ouest-France, 2016). En effet, le manque de diversité chez les acteurs hollywoodiens est flagrant. Selon Radio-Canada « si elle a légèrement augmenté pour se situer à 19,8 % en 2017, la proportion d'acteurs non blancs est loin d'égaler leur part dans la population américaine, évaluée à environ 40 % » (2019). Donc renforcer cet écart avec comme seule excuse que « ça ne colle pas avec l’histoire », alors que l’importance de ce facteur est moindre, ne vaut pas vraiment le coup. Il serait peut-être temps de reconnaître l’importance de la représentation et de laisser de côté la réalité historique que d’autre films dramatiques de l’époque, comme La Duchesse (Saul DiBbb) portraient parfaitement. Ne faudrait-il pas commencer à accepter les deux façons de faire ?
Au même moment, de l’autre côté des réseaux sociaux, une autre équipe prend forme : elle est formée de ceux qui critiquait l’inexistence de la mise en avant des différences raciales dans la série. Cette équipe parle elle aussi de manque de réalisme, mais dans ce cas, elle se soucie davantage des problèmes de société actuels, qui sont totalement mis de côté, qu’au manque d’exactitude historique. Certains spectateurs déplorent l’inexistence de lutte raciale ou de représentation de situations injustes vécues par les minorités.
Néanmoins, il ne faut pas oublier le but des œuvres artistiques en générale. Pouvons-nous blâmer l’auteure du livre fantastique, car il n’est pas assez réaliste et conscient de ce qu’il se passe réellement dans le monde? Les artistes cherchent à créer et les cinéastes ne sont pas une exception et ne devraient pas l’être. Que ce soit des émotions, des histoires ou encore des mondes, le but final est d’être original et de s’exprimer avec pour seules limites celles qu’ils s’imposent. Ainsi, est-ce judicieux de blâmer l’artiste qui imagine un monde dépourvu de haine raciale et qui, par conséquent, ne cherchera pas à la dénoncer? C’est d’ailleurs peut-être en « normalisant » ces représentations que le cinéma pourrait faire réellement une différence.
Enfin la question de l’origine ethnique des acteurs est souvent et peut-être trop souvent remis sur la table dans les médias, que ce soit les médias de masse ou les réseaux sociaux. Shonda Rhimes, l’une des productrices de la série et aussi productrice de séries télévisées à succès comme Grey’s Anatomy ou Scandal, a souvent été sujette à de nombreuses critiques pour la mise en avant de couples interraciaux. Aussi, bien que ce soit une vision très futuriste et peu réaliste pour l’époque à laquelle nous vivons, celle-ci décide souvent de ne pas mettre en avant les épreuves auxquelles peuvent faire face les couples interraciaux dans le monde extérieur. Le message qu’elle essaie de faire passer en continuant ce trope malgré les critiques est peut-être d’arrêter de voir les êtres humains comme des noirs, des blancs, des latinos… mais plutôt comme des personnes. Cette vision est-elle un peu trop utopique? Faudrait-il justement prendre en compte ces facteurs pour faire une différence, car fermer les yeux ne mène à rien? Ou alors est-ce justement en fermant les yeux sur ces facteurs et en rendant cela « normal » au cinéma qu’il peut effectivement y avoir un impact sur la vision du monde des spectateurs ?
© La Chronique des Bridgerton / Netflix
Article écrit par Samantha Antoine
Références :
Radio-Canada. (2021, 29 janvier). La chronique des Bridgerton bat un record de visionnements, selon Netflix. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1766973/chronique-bridgerton-record-visionnements-netflix
Agence France-Presse. (2019, 22 février). Les femmes et les minorités toujours nettement sous-représentées à Hollywood. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1154544/hollywood-femmes-minorites-visibles-discrimination-cinema